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cinq fois autant d’autres espèces de marchandises, cependant il ne faut que la moitié seulement du travail qu’elle coûtait anciennement, pour l’acheter ou la produire actuellement : elle est donc deux fois plus aisée à acquérir qu’elle n’était alors.

Mais cet état primitif, dans lequel l’ouvrier jouissait de tout le produit de son propre travail, ne put pas durer au-delà de l’époque où furent introduites l’appropriation des terres et l’accumulation des capitaux. Il y avait donc longtemps qu’il n’existait plus, quand la puissance productive du travail parvint à un degré de perfection considérable, et il serait sans objet de rechercher plus avant quel eût été l’effet d’un pareil état de choses sur la récompense ou le salaire du travail.

Aussitôt que la terre devient une propriété privée, le propriétaire demande pour sa part presque tout le produit que le travailleur peut y faire croître ou y recueillir. Sa rente est la première déduction que souffre le produit du travail appliqué à la terre[1].

Il arrive rarement que l’homme qui laboure la terre possède par devers lui de quoi vivre jusqu’à ce qu’il recueille la moisson. En général sa subsistance lui est avancée sur le capital d’un maître, le fermier qui l’occupe, et qui n’aurait pas d’intérêt à le faire s’il ne devait pas prélever une part dans le produit de son travail, ou si son capital ne devait pas lui rentrer avec un profit. Ce profit forme une seconde déduction sur le produit du travail appliqué à la terre.

Le produit de presque tout autre travail est sujet à la même déduction en faveur du profit. Dans tous les métiers, dans toutes les fabriques, la plupart des ouvriers ont besoin d’un maître qui leur avance la matière du travail, ainsi que leurs salaires et leur subsistance, jusqu’à ce que leur ouvrage soit tout à fait fini. Ce maître prend une part du produit de leur travail ou de la valeur que ce travail ajoute à la matière à laquelle il est appliqué, et c’est cette part qui constitue son profit.

À la vérité, il arrive quelquefois qu’un ouvrier qui vit seul et indépendant, a assez de capital pour acheter à la fois la matière du travail et pour s’entretenir jusqu’à ce que son ouvrage soit achevé. Il est en même temps maître et ouvrier, et il jouit de tout le produit de son tra-

  1. Nous avons dû rétablir avec soin, dans plusieurs parties de ce chapitre, le texte littéral d’Adam Smith, qui a été singulièrement altéré par M. le sénateur Garnier. A. B.