Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, I.djvu/144

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’once passent pour être le prix de l’argent à la monnaie d’Angleterre, ou bien la quantité d’argent monnayé que donne la monnaie pour de l’argent en lingot au titre. Avant la refonte de la monnaie d’or, le prix de marché pour l’argent au titre en lingot, a été, en différentes circonstances, 5 schellings 4 deniers, 5 schellings 5 deniers, 5 schellings 6 deniers, 5 schellings 7 deniers, et très-souvent 5 schellings 8 deniers l’once. Cependant, 5 schellings 7 deniers semblent avoir été le prix le plus commun. Depuis la refonte de la monnaie d’or, le prix de marché de l’argent au titre, en lingot, est tombé, en différentes rencontres, à 5 schellings 3 deniers, 5 schellings 4 deniers, et 5 schellings 5 deniers l’once, et il n’a guère jamais dépassé ce dernier prix. Quoique, au marché, l’argent en lingot ait baissé considérablement depuis la refonte de la monnaie d’or, cependant il n’a jamais baissé jusques au prix qu’on en donne à la Monnaie.

Dans la proportion établie à la Monnaie d’Angleterre entre les différents métaux, si le cuivre est à un taux fort au-dessus de sa vraie valeur, l’argent, d’un autre côté, se trouve y être évalué à un taux quelque peu au-dessous de la sienne. Dans le marché général de l’Europe, dans les Monnaies de France et dans celles de Hollande, 1 once d’or fin se change contre environ quatorze onces d’argent fin. Dans les Monnaies anglaises, elle se change contre environ quinze onces, c’est-à-dire pour plus d’argent qu’elle ne vaut selon la commune évaluation de l’Europe. Mais de même que le haut prix du cuivre, dans les Monnaies anglaises, n’élève pas le prix du cuivre en barre, de même le bas prix de l’argent dans ces Monnaies n’a pas fait baisser le prix de l’argent en lingot. L’argent en lingot n’en conserve pas moins sa vraie proportion avec l’or, par la même raison que le cuivre en barre conserve toujours sa vraie proportion avec l’argent[1].

  1. La proportion qui subsiste entre la valeur de l’or et celle de l’argent, n’est pas la même dans tout pays ; elle varie d’une année à l’autre, souvent d’une semaine à l’autre. À la fin du quinzième siècle, ou peu de temps avant la découverte de l’Amérique, cette proportion était en Europe comme 1 à 12, et même 1 à 10 ; c’est-à-dire qu’une livre d’or fin était censée valoir dix à douze livres d’argent fin. Depuis cette époque, l’or haussa dans sa valeur numérique, ou dans la quantité d’argent qu’il pouvait acheter. Les deux métaux baissèrent dans leur valeur réelle, ou dans la quantité de nourriture qu’ils pouvaient acheter ; mais l’argent baissa plus que l’or. Quoique les mines d’or d’Amérique, aussi bien que celles d’argent, surpassassent en fécondité toutes les mines connues jusqu’alors, les mines d’argent furent plus fécondes que les mines d’or. À la vérité, jusqu’à l’année 1545, l’Europe parait avoir reçu du nouveau monde beaucoup plus d’or que d’argent ; mais passé cette année, elle a été inondée de l’argent du Pérou. Cette accumulation produisit un effet d’autant plus grand, que la prospérité de l’Europe était alors plus concentrée, que les communications étaient moins fréquentes, et qu’une moindre partie des métaux de l’Amérique refluait en Asie. Depuis le milieu du seizième siècle, la proportion entre l’or et l’argent changea rapidement dans le midi de l’Europe. En Hollande elle était encore, en 1589, comme 1 à 11 3/5 ; mais sous le règne de Louis XIII, en 1641, nous la trouvons déjà en Flandre, comme 1 à 12 1/2 ; en France, comme 1 à 13 1/2 ; en Espagne, comme 1 à 14 et même au delà. En 1751 et 1752, cette proportion était à Amsterdam, alors le grand marché de l’Europe pour les matières fines, comme 1 à 14 1/2. Aujourd’hui la proportion moyenne est comme 1 à 15, dans la plupart des pays de l’Europe.
    Sur la quantité totale d’or et d’argent qu’on retire annuellement, depuis la fin du dix-huitième siècle, de toutes les mines de l’Amérique, de l’Europe et de l’Asie boréale, l’Amérique seule fournit 90/100 du produit total de l’or, et 91/100 du produit total de l’argent. L’abondance relative de ces deux métaux diffère par conséquent très-peu dans les deux continents. La quantité d’or retirée des mines d’Amérique est à celle de l’argent comme 1 à 46 ; en Europe, y compris la Sibérie, cette proportion est comme 1 à 40. Si la quantité offerte d’une denrée influait seule sur son prix, l’argent vaudrait 45 fois 2/3 moins que l’or, parce que la quantité d’argent mise actuellement au marché, est environ 45 fois 2/3 supérieure à la quantité d’or qu’on y amène. Mais l’argent est bien plus demandé que l’or ; il est employé par bien plus de gens et dans plus de cas ; voilà pourquoi sa valeur ne tombe guère au-dessous du quinzième de la valeur de l’or.
    Ensuite l’argent étant moins cher que l’or, il trouve aussi bien plus d’acheteurs, et il est employé à bien des usages. Que chacun compare ce qu’il a de vaisselle et de bijoux d’argent avec ce qu’il a en or, et il trouvera que non-seulement la quantité, mais encore la valeur de ce qu’il a en argent, excède beaucoup ce qu’il a en or. Enfin la plupart des États de l’Europe emploient, dans leur monnaie, beaucoup plus d’argent que d’or, non-seulement pour la quantité, mais pour la valeur. Il n’y a que l’Angleterre et peut-être le Portugal qui font exception à cet égard.
    Mais lorsqu’un gouvernement s’est avisé de fixer légalement la valeur relative des métaux précieux dans ses monnaies, et que cette proportion vient à changer par le cours du commerce, alors le métal qui se trouve trop estimé dans les monnaies, demeure seul le régulateur des prix, et il chasse de la circulation le métal trop peu évalué.
    Quand la proportion légalement réglée entre les deux métaux-monnaie ne s’accorde pas avec la proportion établie par le cours du commerce, cette circonstance entraîne encore un inconvénient très-majeur ; elle invite à fondre ou à exporter la monnaie dans laquelle le métal est trop peu évalué. C’est ce qui est arrivé en Angleterre à l’égard de la monnaie d’argent, pendant tout le temps que ce métal y était évalué au-dessous de sa valeur courante. À l’époque, par exemple, où celui-ci était dans la proportion de 14 1/2 à 1 contre l’or ; quand l’hôtel des Monnaies de Londres donnait 1 livre sterling en monnaie d’argent, il donnait une quantité d’argent valant dans le commerce, 1 livre sterling et 9 pence. Il convenait donc de retirer avec l’or toute la monnaie d’argent qu’on trouvait et de la refondre. On gagnait à cette manœuvre 9 pence par livre sterling. Ainsi, quand l’administration avait l’imprudence de frapper de la monnaie d’argent, elle était sur-le-champ enlevée.
    L’Autriche a fait tout récemment la même expérience. Autrefois la proportion légale entre les deux métaux était fixée dans ce pays comme 1 à 14 18/100 ; on croyait l’or trop peu évalué, et on fixa, il y a quelques années, la proportion comme 1 à 15 24/100. C’était évaluer l’argent trop bas ; aussi les monnaies d’argent furent-elles fondues et exportées. Storch.