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vais. Un forgeron qui aura été accoutumé à en faire, mais qui n’en aura pas fait son unique métier, aura peine, avec la plus grande diligence, à en fournir dans un jour plus de huit cents ou d’un millier. Or, j’ai vu des jeunes gens au-dessous de vingt ans, n’ayant jamais exercé d’autre métier que celui de faire des clous, qui, lorsqu’ils étaient en train, pouvaient fournir chacun plus de deux mille trois cents clous par jour. Toutefois la façon d’un clou n’est pas une des opérations les plus simples. La même personne fait aller les soufflets, attise ou dispose le feu quand il en est besoin, chauffe le fer et forge chaque partie du clou. En forgeant la tête, il faut qu’elle change d’outils. Les différentes opérations dans lesquelles se subdivise la façon d’une épingle ou d’un bouton de métal sont toutes beaucoup plus simples, et la dextérité d’une personne qui n’a pas eu dans sa vie d’autres occupations que celles-là, est ordinairement beaucoup plus grande. La rapidité avec laquelle quelques-unes de ces opérations s’exécutent dans les fabriques passe tout ce qu’on pourrait imaginer ; et ceux qui n’en ont pas été témoins ne sauraient croire que la main de l’homme fût capable d’acquérir autant d’agilité[1].

En second lieu, l’avantage qu’on gagne à épargner le temps qui se perd communément en passant d’une sorte d’ouvrage à une autre, est beaucoup plus grand que nous ne pourrions le penser au premier coup d’œil. Il est impossible de passer très-vite d’une espèce de travail à une autre qui exige un changement de place et des outils différents. Un tisserand de la campagne, qui exploite une petite ferme, perd une grande partie de son temps à aller de son métier à son champ, et de son champ à son métier. Quand les deux métiers peuvent être établis dans le même atelier, la perte du temps est sans doute beaucoup moindre ; néanmoins elle ne laisse pas d’être considérable. Ordinairement, un homme perd un peu de temps en passant d’une besogne à une autre. Quand il commence à se mettre à ce nouveau travail, il est rare qu’il soit d’abord bien en train ; il n’a pas, comme on dit, le cœur à l’ouvrage, et pendant quelques moments il niaise plutôt qu’il ne travaille de bon cœur. Cette habitude de flâner et de travailler sans application et avec nonchalance, est naturelle à l’ouvrier de la campagne, ou plutôt il la contracte nécessairement, étant obligé de changer d’ou-

  1. Il faut lire dans le spirituel opuscule de Lemontey, Raison et folie, la triste contre-partie de ce brillant tableau. A. B.