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L’ÉCRIN DISPARU

moraux ignorés, seul appui et parfois seul consolateur de tant de misères insoupçonnées…

Il y eut un moment de silence ; puis grave et sentencieuse, la voix du prêtre s’éleva :

— Si vous parlez, mon enfant, considérez que cet homme ne souffrira pas seul ; des êtres innocents qui l’entourent, vous ferez autant de victimes.

— Je ne le sais que trop…

— Songez aussi, que cette valeur dérobée, n’a pas été soustraite pour en jouir bassement ; il l’a employée à une œuvre profitable à la science, au progrès, à ses compatriotes. Il a tendu service, il a exposé sa vie ; ce qu’il a fait, est grand et utile… Seule sa faute l’atteint ; elle laisse subsister la valeur de son œuvre ; puis, quel noble usage n’a-t-il pas fait de sa fortune !…

— Alors, vous l’approuvez, Monsieur l’Aumônier ?…

— Non, tant s’en faut… il fut coupable, et le fut d’autant plus qu’il a la conscience plus éclairée. Mais, c’est un compte à régler entre lui et Dieu. Croyez-vous d’ailleurs, que la justice immanente ne lui ait pas déjà fait expier une part de sa faute ? … vous, qui avez vécu avec lui, oseriez-vous affirmer qu’il est heureux ?… Avez-vous songé à la terrible humiliation qui doit flageller l’orgueil de cet homme, lorsque songeant à l’origine de sa fortune, il entend ce mot : « Déshonneur »…

Le prêtre s’est tu : Hippolyte a compris ; il murmure : « Mon Dieu… mon Dieu »… en courbant la tête comme sous un fardeau trop pesant !…

Se taire !… Se résoudre à vivre sous un nom d’emprunt, à cacher le sien après l’avoir lavé d’un opprobre immérité ; ne pouvoir léguer son nom, continuer la lignée d’une famille jusqu’alors réputée ; vivre sans foyer, sans parents, sans amis ; n’avoir en perspective que l’isolement, l’abandon peut-être, le malheur à jamais, n’y a-t-il pas là, de quoi briser le cœur du jeune homme le plus insensible ?…

Un silence prolongé règne dans le petit parloir de l’Aumônier ; et le jeune homme voit le regard du prêtre se fixer sur le grand crucifix, qui en face de lui, étend ses bras douloureux, dans un geste de suprême pitié ; il songe, que non content de pardonner à ses bourreaux, le Christ s’est volontairement immolé pour eux…

Pendant ce silence solennel, où l’on entend passer la prière du ministre de Dieu, Hippolyte est là debout, courbé, appuyant machinalement une main au dossier du fauteuil ; morne et pen-