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farouche Esprit, qui te meus en tout lieu, pour détruire ou préserver ; — écoute, oh ! écoute !

Toi, dont le courant, au milieu de la commotion du ciel escarpé, est parsemé, comme la terre, de feuilles flétries, de nuées flottantes, secouées des rameaux entrelacés du ciel et de l’océan, anges de la pluie et de l’éclair ! Là, sur la surface bleue de ta houle aérienne, s’épandent, semblables à la brillante chevelure soulevée de la tête de quelque féroce Ménade, du bord obscur de l’horizon à la hauteur du zénith, les boucles de l’ouragan qui approche. Toi, chant funèbre de l’année mourante, pour qui cette nuit en se fermant sera le dôme d’un vaste sépulcre, voûté de toutes tes puissantes vapeurs réunies, dont la solide atmosphère éclatera en pluie noire, en feu, et en grêle, — oh ! écoute !

Toi, qui éveillas la bleue Méditerranée de ses rêves d’été où elle gisait, bercée au bruit de ses courants cristallins, auprès d’une île de pierre ponce dans la baie de Baïa ; toi qui vis sommeiller les palais et les tours antiques, tremblants dans la lumière plus intense de la vague, tout couverts d’une mousse d’azur, et de fleurs si douces que le sentiment défaille à les peindre ! Toi, pour le passage de qui les puissantes plaines de l’Atlantique s’entrouvrent en gouffres, tandis qu’au-dessous bien loin les fleurs de mer et les forêts limoneuses, qui portent le feuillage sans sève de l’océan, reconnaissent ta voix, et soudain grisonnent de frayeur, tremblent et se dépouillent elles-mêmes ; — oh ! écoute !

Si j’étais une feuille morte que tu pusses porter ; si j’étais un agile nuage pour voler avec toi ; une vague, pour palpiter sous ta puissance, et partager l’impulsion de ta force, seulement moins libre que toi, ô toi qui ne