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alors ! avec un gracieux mouvement, entre les bancs d’une échancrure garnie de mousse et sur un paisible courant, à l’ombre d’un bosquet touffu, le bateau vogue ! Et écoutez ! le spectral torrent mêle son rugissement lointain à la brise murmurant dans les bois pleins de musique ! À l’endroit où les arbres en berceau s’éloignent et laissent un petit espace d’étendue verte, la crique est fermée par des bancs qui se rencontrent, dont les jaunes fleurs regardent éternellement leurs propres yeux languissants réfléchis dans le calme cristal. La vague produite par le mouvement du bateau dérangeait pour la première fois leur pensive tâche, que jamais rien n’avait troublée, si ce n’est un oiseau vagabond ou une brise folâtre, ou la chute d’un chiendent, ou leur propre déclin. Le poète brûlait de parer de leurs brillantes couleurs sa chevelure flétrie ; mais dans son cœur, il sentit renaître sa solitude et il s’abstint. La violente passion cachée sous ces joues écarlates, ces yeux dilatés et ce corps d’ombre, n’avait pas encore accompli son ministère ; elle était suspendue sur sa vie, comme l’éclair dans un nuage brille suspendu jusqu’à ce qu’il s’évanouisse, et que les flots de la nuit se referment sur lui.

Le soleil de midi brillait maintenant sur la forêt, une vaste masse d’ombre entrelacée, dont la brune magnificence enceint une étroite vallée. Là, d’immenses cavernes, creusées dans la sombre base de leurs rocs aériens, répondent, en se jouant, à ses plaintes et mugissent éternellement. Les rameaux qui s’enlacent et les feuilles touffues tissaient un crépuscule sur le sentier du poète, alors que, conduit par l’amour, ou le rêve, ou un Dieu, ou la Mort plus puissante, il cherchait dans la plus chère