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quaient à moitié la souffrance qui le consumait, auraient voulu l’appeler de ces noms menteurs de frère et d’ami, auraient voulu presser sa main pâle au départ, et suivre, à travers d’obscures larmes, le chemin du voyageur du seuil de la maison paternelle.

Enfin, sur le rivage solitaire de la Chorasmanie il s’arrêta, un immense et mélancolique désert de putrides marais. Une violente impulsion poussait ses pas au rivage de la mer. Il y avait là un cygne, près d’un courant paresseux, au milieu des joncs. L’oiseau s’enleva à son approche et, de ses ailes puissantes escaladant le ciel, dirigea sa course brillante bien haut au-dessus de l’incommensurable Océan. Ses yeux poursuivaient son vol : « Toi, tu as une demeure, bel oiseau ! Tu voyages pour retrouver cet abri, où ta douce compagne entrelacera le duvet de son cou avec le tien, et saluera ton retour avec des yeux resplendissant de tout l’éclat de leur ardente joie. Et moi, qu’ai-je à attendre ici, avec une voix beaucoup plus douce que tes notes mourantes, un esprit plus étendu que le tien, un organisme mieux accordé pour la beauté, consumant en vain ces facultés supérieures dans l’air sourd, pour la terre aveugle et le ciel qui n’a point d’écho pour mes pensées ? » — Un sombre sourire d’espérance désespérée rida ses lèvres tremblantes. Car le Sommeil, il le savait, gardait impitoyablement son précieux trésor, et la Mort silencieuse, peut-être aussi perfide que le Sommeil, ne montrait qu’un leurre d’ombre, se moquant avec un sourire équivoque de ses propres charmes si étranges !

Tressaillant à ses propres pensées, il regardait autour de lui. Il n’y avait auprès de lui aucun ennemi visible, aucun objet, aucun son qui put être sujet de crainte,