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chantée, comme un alchimiste inspiré et désespéré, risquant sa propre vie sur quelque obscure espérance, j’ai amalgamé les formules redoutables et les regards scrutateurs avec mon plus innocent amour ; jusqu’à ce que d’étranges larmes, se mêlant à ces baisers haletants, arrivent à composer un philtre capable de forcer la nuit enchantée de me livrer ton secret. Et, quoique tu n’aies pas encore dévoilé ton plus intime sanctuaire, l’incommunicable rêve et les fantômes crépusculaires, et la profonde pensée de midi ont fait briller en moi assez de lumière, pour que maintenant dans la sécurité, immobile comme une lyre longtemps oubliée, suspendue au dôme solitaire de quelque temple mystérieux et déserté, j’attende ton souffle, ô grande mère ; pour que mon chant puisse mêler ses modulations aux murmures de l’air, aux bruits des forêts et de la mer, à la voix des êtres vivants, aux hymnes entrelacés de la nuit et du jour, et du profond cœur de l’homme !

Il y eut un poète dont la tombe prématurée ne fut point élevée avec un pieux respect par une main humaine ; mais les tourbillons charmés des vents d’automne bâtirent sur ses os tombant en poudre une pyramide de feuilles s’en allant en poussière dans l’inculte désert… Un jeune homme digne d’amour !… Aucune vierge désolée ne para de fleurs éplorées ou d’une guirlande de cyprès votif la couche solitaire de son éternel sommeil ; il était noble, et brave, et généreux ! Aucun barde solitaire n’exhala sur sa sombre destinée un chant mélodieux ; il vécut, il mourut, il chanta dans la solitude. Des étrangers ont pleuré en entendant ses notes passionnées ; et des vierges, pendant qu’il passait inconnu, ont langui et se sont consumées du fol amour