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Terre, Océan, Air, fraternité bien-aimée ! Si la nature, votre grande mère, a imbu mon âme de quelque piété naturelle pour sentir votre amour et y répondre avec le mien ; si le matin humide de rosée, le midi odorant, le soir avec le coucher du soleil et sa splendide cour, et le solennel tintement du silence de minuit, si les profonds soupirs de l’automne dans le bois desséché, et l’Hiver revêtant de pure neige et de couronnes de glace étoilée les herbes flétries et les rameaux nus, si les voluptueuses palpitations du Printemps, quand il exhale ses premiers baisers si doux, m’ont été chers ; si jamais je n’ai sciemment fait de mal à aucun oiseau brillant, insecte ou gentille bête, mais si je les ai toujours aimés et chéris comme ma famille, — alors, pardonnez-moi cette vanterie, frères bien-aimés, et ne me retirez rien de votre faveur accoutumée !

Mère de ce monde impénétrable, favorise mon chant solennel ! Car je t’ai aimée toujours, et toi seule ; j’ai épié ton ombre et l’obscurité de tes pas, et mon cœur a toujours le regard plongé sur l’abîme de tes profonds mystères… J’ai fait mon lit dans les charniers et sur les cercueils, où la noire Mort garde le registre des trophées conquis sur toi, dans l’espérance de faire taire les obstinés questionneurs de tes secrets en forçant quelque ombre délaissée, ta messagère, à me révéler ce que nous sommes. Dans les heures solitaires et silencieuses, quand la nuit fait de son silence même une rumeur en-