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rices des fleurs irisées et des mousses branchues, les couleurs de cette joue changeante, de cette poitrine de neige, de ces yeux noirs et étincelants.

La lune blafarde et cornue pendait bas, et versait sur le bord de l’horizon un océan de lumière qui inondait ses montagnes. Un brouillard jaune remplit l’atmosphère illimitée, et but la pâle clarté de la lune jusqu’à la satiété ; pas une étoile ne brillait, pas un bruit ne se faisait entendre ; les vents eux-mêmes, les farouches camarades de jeu du Danger, dormaient sur ce précipice, dans l’étreinte de son embrassement. — Ô ouragan de la Mort, dont le vol aveugle fend cette lugubre nuit ! Et toi, Squelette colossal, qui, toujours guidant son irrésistible course dans ta toute-puissance dévastatrice, es le roi de ce fragile monde ! Du rouge champ de carnage, de la vapeur ensanglantée de l’hôpital, de la couche sacrée du patriote, du lit de neige de l’innocence, de l’échafaud et du trône, une voix puissante t’appelle ! La Ruine appelle sa sœur la Mort ! En rôdant autour du monde elle t’a préparé une rare et royale proie ! Après t’en être repue, tu pourras te reposer, et les hommes iront à leur tombeau, comme les fleurs ou le ver rampant, et n’offriront plus jamais à son lugubre sanctuaire le tribut dédaigné d’un cœur brisé !

Quand sur le seuil de la verte retraite les pas du voyageur tombèrent, il comprit que la mort était sur sa tête. Encore un peu, avant qu’elle s’envolât, il abandonna son âme élevée et sainte aux images du majestueux passé, qui s’arrêtèrent alors dans son être passif, comme des brises qui apportent une douce musique, alors qu’elles soufflent à travers le treillis d’une chambre obscure. Il posa sa main maigre et pâle sur le tronc