Page:Shelley - Œuvres en prose, 1903, trad. Savine.djvu/329

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
311
DE PERCY BYSSHE SHELLEY

négligé, ou comme l’impatience maladive d’un rêveur qui se fait à lui-même une piteuse illusion. Les hommes qui ont été les ornements les plus illustres des annales de l’espèce humaine ont été stigmatisés par le mépris et l’horreur de sociétés humaines tout entières, mais cette injustice eut sa source dans quelque superstition passagère, quelque intérêt départi, quelque doctrine nationale : une glorieuse rédemption était destinée à leur mémoire. Il n’y a, en vérité, rien de bien extraordinaire dans le mépris de l’ignorant pour l’homme éclairé : l’orgueil vulgaire de la sottise se plaît à triompher de l’intelligence. C’est là un phénomène aisé à comprendre : l’infamie ou l’absence de gloire qui peut être ainsi expliquée ne retranche rien à la beauté de la vertu ou à la sublimité du génie. Mais que signifie une absolue obscurité ? Si le public ne s’occupe point d’une œuvre, pas même pour la censurer, cette œuvre a-t-elle par là même été condamnée ?

Le résultat de cette controverse est important pour le critique de talent. Ses travaux sont d’une pitoyable inutilité, si leurs objets peuvent toujours être atteints avant qu’il ne se mette à l’œuvre. Il lui faudrait connaître les limites de sa prérogative, il faudrait qu’il n’ignorât point si sa tâche consiste à promulguer les décisions d’autrui, ou à cultiver son goût et son jugement, afin de se rendre capable de donner un motif qui lui appartienne.

Les circonstances les plus étrangères aux choses de l’esprit ont contribué, depuis un certain temps, à maintenir dans l’obscurité les modèles les plus