Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/61

Cette page n’a pas encore été corrigée
48
ROMÉO ET JULIETTE

nous excuser, ou bien entrerons-nous sans plus de façons ?

BENVOLIO. — La mode de ces cérémonies prolixes est passée. Nous n’enverrons devant eux aucun Cupidon, les yeux bandés d’une écharpe, portant un arc de Tartare en bois blanc peint, écartant les Dames devant lui commemn gamin chargé d’effaroucher les corneilles ; pas davantage de prologue récité sans copie, en ânonnant, avec l’aide du souffleur, pour faire notre entrée16. Qu’ils nous jugent avec la mesure qu’il leur plaira, nous leur mesurerons une mesure de danse, et puis nous partirons.

ROMÉO. — Donnez-moi une torche, je ne suis pas d’humeur à danser comme je suis sombre, il me siéra de porter la lumière17.

MERCUTIO. — Non, gentil Roméo, nous voulons que vous dansiez.

ROMÉO. — Non, croyez-moi : vous avez, vous, des souliers de danse et des pieds légers ; moi j’ai une âme de plomb qui me cloue tellement à terre que je ne puis remuer.

MERCUTIO. — Vous êtes un amant ; empruntez les ailes de Cupidon, — et faites par leur moyen un grand saut au dessus, de ces chagrins.

ROMÉO. — Je suis trop follement percé de sa flèche, pour voler avec ses ailes légères, et tellement lié que je ne puis sauter plus haut que la sombre douleur ; je succombe sous le pesant fardeau de l’amour.

MERCUTIO. — Mais en succombant, vous devriez étouffer l’amour ; vous êtes un poids trop lourd pour un être si tendre.

ROMÉO. — Est-ce que l’amour est un être-tendre ? il n’est que trop brutal, trop, cruel, trop querelleur, et il pique comme l’épine.

MERCUTIO. — Si l’amour est brutal avec vous, soyez brutal avec l’amour ; rendez à l’amour piqûre pour piqûre, et vous vaincrez l’amour. — Donnez-moi un étui pour y serrer mon visage. (Il met un masque.) Un masque contre un masque ! Maintenant je n’ai plus souci