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BENVOLIO. — Alors elle a juré qu’elle vivrait toujours chaste ?

ROMÉO. — Elle l’a juré, et par cette économie, elle fait, un grand gaspillage de biens, car la beauté, affamée par sa sévérité, ruine la beauté de toute postérité. Elle est trop belle, trop sage ; trop sagement belle pour mériter son salut en me désespérant : elle a juré de ne pas aimer, et grâce à ce vœu, je meurs au sein de la vie, moi qui vis pour le dire en ce moment.

BENVOLIO. — Suis mon conseil, oublie de penser à elle.

ROMÉO. — Oh ! apprends-moi comment je pourrais oublier de penser.

BENVOLIO. — En accordant la liberté à tes yeux ; regarde d’autres beautés.

ROMÉO. — C’est le moyen d’appeler la sienne exquise, que de passer l’examen des autres : les heureux masques qui baisent les joues des belles Dames, grâce à leur couleur noire, ne servent qu’à nous rappeler qu’ils cachent la beauté ; celui qui est frappé de cécité ne peut oublier pour cela le précieux trésor perdu de sa vue. Montrez-moi une maîtresse d’une beauté plus qu’ordinaire, que sera pour moi sa beauté ! rien qu’une note où je lirai un commentaire explicatif de cette autre beauté qui dépasse la beauté plus qu’ordinaire. Adieu : tu ne peux m’apprendre à oublier.

BENVOLIO. — Je te payerai cette science-là, ou je mourrai endetté. (Ils sortent.)

SCÈNE II

Une rue.
Entrent CAPULET, PARIS et un VALET.

CAPULET. — Mais Montaigu est condamné aussi bien que moi, et à la même peine ; et je ne pense pas qu'il soit bien dur à des hommes aussi vieux que nous le sommes de garder la paix.