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qui explique la nature irrésistible, pour ainsi dire implacable de leur amour, et le personnage de Mercutio, qui se trouve sans qu’il y paraisse le véritable pivot du drame. C’est à peine si Bandello a fourni au poète une lointaine indication pour le caractère de ce dernier personnage. Quelle distance il y a entre le personnage effacé et un peu grotesque du Marcaccio aux mains froides de Bandello et le gai Mercutio de Shakespeare à la verve touffue en saillies capricieuses et extravagantes comparables à une végétation pétulante et folle en sa fécondité ! Je, dis que Mercutio est, sans qu’il, y paraisse, le véritable pivot du drame, et ici encore je veux, rendre la parole à mes rêveries passées. « Supprimez Mercutio, disais-je, et vous diminuerez du même coup Roméo ; l’amant de Juliette n’est pas complet sans son gai compagnon. Mercutio fait partie intégrante de ce cortège d’amis et de camarades que tout jeune homme entraîne nécessairement après lui. Dans la première jeunesse, les amis ont une importance qu’ils n’ont plus aux autres époques de la vie ; le jeune, homme n’existe pas sans eux ; ils composent une partie de son caractère, ils servent de commentaires à ses actions. Ce chœur d’amis et de camarades se divise infailliblement en deux bandes : la bande des amis sages et studieux, compagnons des heures graves et confidents des peines et des joies sérieuses ; la bande des amis gais et pétulants ; compagnons des heures de folie et complices des joies bruyantes. Cette division entre les amis du jeune homme est invariable comme une loi de la nature : celui qui appartient à une bande passe rarement dans l’autre ; on ne les voit pas aux mêmes heures, on ne les consulte pas dans les mêmes occasions, on ne leur dévoile pas les mêmes sentiments. La vie morale du jeune homme est tranchée avec une netteté toute classique, et cette division qu’il établit entre ses amis correspond à la division qu’il fait de son être. Shakespeare était trop grand connaisseur