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été pris de quelque désir charnel répréhensible. Elle fait effort pour se dégager, ouvre les yeux et reconnaît Roméo. Suit une scène de joie et de deuil, à la fois, aussi touchante que simple. Un éclair de bonheur qui dure juste assez de temps pour que l’ignorance de Juliette soit dissipée illumine une fois encore sous ce sombre caveau les âmes des deux amants. Roméo supplie Juliette de vivre et de le laisser auprès de Tebaldo, bien, vengé par sa mort ; mais, à ses prières, Juliette répond par ces seules paroles : « Puisqu’il n’a pas plu à Dieu que nous vivions ensemble, qu’il lui plaise au moins que je reste ici ensevelie avec vous ; et tenez pour sûr que je n’en sortirai jamais sans vous. » Roméo meurt, et Juliette, après avoir quelques, instants gémi sur son corps, le rejoint sans avoir besoin de porter sur elle une main violente. L’excès de son amour délie son âme de son corps mieux que ne le pourrait faire le poignard brutal et maladroit, et elle expire à la manière de ce jeune héros de Boccace qui, pris de la fièvre d’amour et n’y pouvant résister, s’introduit de nuit auprès de son amie trop scrupuleuse, lui demande la permission de s’étendre à ses côtés, et meurt du désespoir de ne pouvoir être heureux. La conclusion de l’histoire de Bandello diffère essentiellement, comme on le voit, du dernier acte si tragique de Shakespeare. Il ne faudrait pas croire cependant que le grand poète soit l’inventeur du dénoûment de sa pièce. Il le doit, aussi bien que le rôle si important de la nourrice, à Pierre Boisteau, traducteur français de la nouvelle de Bandello, lequel a eu l’ambition de corriger l’œuvre italienne et y a introduit ces deux importantes modification. Un poète anglais, contemporain de Shakespeare, Arthur Brooke, dans une traduction versifiée de la nouvelle de Bandello, qui n’est pas sans mérite et qui parut en 1562, adopta les innovations de Boisteau : or Malone croit que c’est à ce poème de Brooke que Shakespeare puisa l’histoire de Roméo et de Juliette.