Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/29

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éloquence farouche ; mais l’énumération hyperbolique des horreurs qu’elle entasse l’une sur l’autre pour faire comprendre la profondeur de son désespoir, pâlit vraiment devant ce simple mot où se trahit l’âme entière, d’une jeune italienne d’autrefois, passionnée et chrétienne.

Toute la fin de la nouvelle est d’une éloquence familière admirable. Trompé comme dans Shakespeare par le rapport de son domestique trop empressé à porter la nouvelle de la mort de Juliette, et par l’obstacle imprévu qui empêche le message de frère Laurent de lui parvenir, Roméo se décide à entrer de nuit dans Vérone, déguisé en gentilhomme allemand, pour aller contempler sa femme une dernière fois et se donner la mort auprès d’elle. Auparavant il écrit à son père, lui révèle son mariage secret, sa résolution de mourir, et lui demande pardon de l’une et de l’autre désobéissance à son autorité paternelle. « II le priait très-affectueusement qu’il voulût : bien faire célébrer au tombeau de Juliette une messe solennelle des morts, comme à sa bru, et qu’il prélevât sur sa fortune une somme suffisante pour que cet office fût perpétuel. Roméo possédait certaines propriétés qu’une tante lui avait laissées par testament. Sur ces biens, il disposait encore de la somme nécessaire pour que son valet Pierre pût vivre commodément, sans avoir besoin des gages d’autrui. Il faisait grandissime instance auprès de son père pour que ces deux choses fussent exécutées, déclarant que c’était là sa dernière volonté. Et comme cette tante qui l’avait institué héritier n’était morte que quelques jours auparavant, il priait son père qu’il fit donner aux pauvres, pour l’amour de Dieu, les premiers fruits qui se récolteraient dans ses domaines.» Cela fuit, il se rend à Vérone, où il entre vers l’heure de l’Ave Maria, et après s’être tenu caché quelques heures, il va sur le matin revoir pour la dernière fois cette Juliette tant aimée. Il l’embrasse avec la frénésie de l’amour désespéré, la baigne de ses larmes,