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AVERTISSEMENT.

sous ses fenêtres laissant leur maître y faire aussi longue station qu’il lui plaît. Ce manège continue de longs mois avec une telle régularité, qu’à la fin les deux amants se découvrent l’un à l’autre, et prennent la résolution de s’unir secrètement. Roméo va trouver le frère Laurent, si bon et si imprudent dans Shakespeare, mais dont le rôle dans Bandello s’explique encore le plus naturellement du monde. Ce religieux était un moine franciscain renommé pour son savoir et sa piété, qui confessant toutes les personnes de condition de la ville tenait tous les secrets de leurs cœurs. Il était le confesseur de tous les Capulets et en conséquence de Juliette ; il était le confesseur de tous les Montaigus, et il avait pour Roméo une affection toute particulière. Dès que Roméo lui avoua son amour pour Juliette et lui demanda de les unir secrètement, l’idée vint, tout à coup au bon frère que ce mariage entrait dans les vues de la Providence qui voulait sans doute changer en amour la haine des deux familles. Il y vit un moyen de réconciliation future, et faisant passer les devoirs du zèle chrétien avant ceux de la sagesse mondaine, il n’hésita pas à bénir l’union des amants.

Quelque temps après arrive la querelle où le féroce Tebaldo est tué, et Roméo est obligé sous peine de mort de quitter Vérone. La scène des adieux est très-belle, mais d’une beauté fort différente de celle de Shakespeare. Il manque ici l’incomparable musique de la poésie shakespearienne, mais en revanche la véhémence passionnée italienne y éclate en traits d’une émouvante éloquence. Parmi ces traits, il en est un dont le germe se trouve indiqué brièvement dans Luigi da Porto, et que Bandello a développé d’une manière superbe. Je veux indiquer ce trait parce que bien des années après la nouvelle de Bandello, le Tasse ne dédaignera pas de s’en emparer et d’en faire une de ses plus belles octaves. « Puis l’heure de partir approchant, Juliette avec les plus fortes prières