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AVERTISSEMENT.

vent heureux et la véritable antithèse de Boccace. Le système de narration de Bandello est le parfait opposé du système, de narration de Boccace. Boccace donne à ses histoires grivoises ou sentimentales, mais plus souvent grivoises que sentimentales, une belle forme classique et antique. Il habille de vêtements cicéroniens des tours de commères et de badins, et donne aux discours de ses catins et de ses cocus cette précision aisée, et ce rien de trop, rien de moins, d’un si grand goût, qui distinguent la diction de Sallusle. Bandello, au contraire, ne cherche point à revêtir d’un costume classique des histoires qui ne le sont pas. Il donne à ses nouvelles le costume moderne qu’ont porté ses personnages, et le langage moderne qu’ils ont parlé. Par là il a introduit une innovation véritable, et dont on a trop peu profité, dans le récit italien, que les formes sévères de l’antiquité ont toujours trop attiré depuis la Renaissance, et qui a perdu à cette recherche la naïveté et la bonhomie si caractéristiques, des narrateurs du treizième et du quatorzième siècle, un Dino Compagni, par exemple, ou l’auteur anonyme du livre ravissant des Fioretti de saint François. C’est à cette absence de préoccupation du moule classique que Bandello doit en grande partie son aimable familiarité. Donc rien d’extraordinaire dans l’histoire de Roméo et de Juliette chez Bandello. Comme dans le drame de Shakespeare, les deux amants se voient pour la première fois au bal des Capulets, mais le coup de foudre de la passion amoureuse qui marque les amants pour l’orage et la mort n’existe pas chez le conteur italien. Roméo, amoureux d’une jeune dame qui lui fait ressentir tous les tourments des ardeurs non partagées, est assis dans un coin de la salle du bal, et promène un peu tristement ses regards à l’aventure, lorsque ses yeux s’arrêtent sur Juliette. Il la trouve belle, et alors ses regards au lieu d’errer comme précédemment ont plaisir à se fixer. Il regarde souvent, et à la dérobée, tant qu’enfin ses yeux