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mourir, Messala : comme j’avais réfléchi qu’elle devait mourir un jour, je me trouve la patience de supporter sa perte maintenant.

Messala. — C’est ainsi que les grands hommes devraient supporter les grandes pertes.

Cassius. — J’ai appris autant de cette philosophie que vous ; mais cependant ma nature ne pourrait pas supporter ainsi une telle perte.

Brutus. — Bon ! vivement à notre besogne qui est vivante, elle. Si nous marchions immédiatement sur Philippes ; qu’en pensez-vous ?

Cassius. — Je n’approuve pas ce projet.

Brutus. — Votre raison ?

Cassius. — La voici : il vaut mieux que l’ennemi nous cherche : par là il épuisera ses ressources, fatiguera ses soldats, et se blessera lui-même ; tandis que nous, ne bougeant pas, nous restons reposés, agiles, et pleins de vigueur pour la défense.

Brutus. — Les bonnes raisons doivent de toute nécessité céder la place à de meilleures. Les populations entre Philippes et cet endroit-ci n’ont pour nous qu’une affection contrainte ; car elles ont rechigné pour nous accorder des subsides : l’ennemi, en les ramassant tout le long de sa marche, accroîtra démesurément ses forces, il nous arrivera rafraîchi, renforcé, encouragé ; tandis que nous le coupons de tous ces avantages, si nous allons à Philippes le regarder en face, en ayant ces populations derrière nous.

Cassius. — Écoutez-moi, mon bon frère.

Brutus. — Veuillez m’excuser. Vous devez faire attention, en outre, que nous avons enrôlé tout ce que nous pouvons enrôler de partisans ; nos légions sont au complet autant qu’elles le seront jamais, notre cause a désormais réuni toutes ses ressources : l’ennemi s’accroît chaque jour ; nous, parvenus à l’apogée, nous sommes prêts à décliner. Dans les affaires des hommes, il y a une voie qui, lorsqu’on sait prendre le flot, conduit à la fortune ; s’ils la négligent, tout le voyage de leur