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Troisième citoyen. — Le noble Brutus est monté : silence !

Brutus. — Soyez patients jusqu’à la fin. Romains, compatriotes, et amis ! écoutez-moi pour ma cause, et soyez silencieux, afin que vous puissiez m’écouter : croyez-moi pour mon honneur, et ayez respect pour mon honneur, afin que vous puissiez me croire ; censurez-moi dans votre sagesse, et réveillez vos facultés afin que vous puissiez mieux me juger. S’il est dans cette foule quelque cher ami de César, je dis à celui-là que l’amour de Brutus pour César n’était pas moins grand que le sien. Si donc, cet ami demande pourquoi Brutus s’est élevé contre César, voici ma réponse : ce n’est pas que j’aimais moins César, mais j’aimais Rome davantage. Qu’auriez-vous préféré ? César vivant, et vous mourant tous esclaves, ou César mourant, et vous vivant tous hommes libres ? Comme César m’aimait, je le pleure ; comme il fut heureux, j’ai applaudi à sa fortune ; comme il était vaillant, je l’honore : mais comme il était ambitieux, je l’ai tué. Voilà des larmes pour son amour, des applaudissements pour sa fortune, de l’honneur pour sa valeur, et la mort pour son ambition. Qui dans cette foule est assez bas pour vouloir être esclave ? s’il en est un, qu’il parle ; car c’est lui que j’ai offensé. Qui est assez barbare ici pour ne pas vouloir être un Romain ? s’il en est un, qu’il parle ; car c’est lui que j’ai offensé. Qui est assez vil ici pour ne pas aimer son pays ? s’il en est un, qu’il parle ; car c’est lui que j’ai offensé. Je m’arrête pour attendre une réponse.

Les citoyens. — Aucun, Brutus, aucun.

Brutus. — Alors je n’ai offensé personne. Je n’ai pas plus fait envers César que vous ne feriez envers Brutus. La raison de sa mort est inscrite au Capitole ; sa gloire n’a pas été atténuée dans toutes les choses qui lui méritaient la louange, pas plus que n’ont été exagérées les offenses qui lui ont valu la mort. Voici venir son corps pleuré par Marc Antoine, qui, bien qu’il n’ait eu aucune part à sa mort, en bénéficiera cependant, car il aura une place dans la république ; — et lequel de vous ne bénéfi-