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César. — Les lâches meurent plusieurs fois avant leur mort ; les vaillants ne connaissent la mort qu’une fois. De tous les sujets d’étonnement dont j’aie encore entendu parler, celui qui me paraît le plus étrange c’est que les hommes puissent avoir peur, sachant que la mort est une fin nécessaire qui viendra quand elle devra venir.


Rentre le serviteur.

César. — Que disent les augures ?

Le serviteur. — Ils vous défendent de sortir aujourd’hui. En fouillant les entrailles d’une victime, ils n’ont pu découvrir de cœur dans l’animal.

César. — Les Dieux font cela pour faire honte à la lâcheté : César serait une bête sans cœur, si par crainte il restait au logis aujourd’hui. Non, César n’y restera point. Danger sait fort bien que César est plus redoutable que lui : nous sommes deux lions issus le même jour de la même portée, et moi je suis l’aîné et le plus terrible : César sortira donc.

Calphurnia. — Hélas, mon Seigneur ! Votre sagesse disparaît sous ce trop de confiance. Ne sortez pas aujourd’hui ; appelez mienne, et non pas vôtre, la crainte qui vous retiendra au logis. Nous enverrons Marc Antoine au sénat, et il dira que vous n’êtes pas bien aujourd’hui. Accordez-moi cela, je vous le demande à genoux.

César. — Soit, Marc Antoine dira que je ne suis pas bien ; je consens à rester au logis pour complaire à ton humeur.


Entre DÉCIUS.

César. — Voici Décius Brutus, il le leur dira.

Décius. — Profond salut, César ! Bonjour, noble César : je viens vous chercher pour aller au sénat.

César. — Et vous êtes venu fort à propos pour porter mes félicitations aux sénateurs et leur dire que je n’irai pas aujourd’hui : leur dire que je ne peux pas y aller, serait faux ; que je n’ose pas y aller, plus faux encore :