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de retenue et que l’on regarde mes paroles comme des lois. » On voit combien le langage que lui prête Shakespeare est d’accord avec celui que lui prête l’histoire. C’est Suétone qui rapporte les paroles que nous venons de citer, et il les fait suivre immédiatement de l’anecdote que voici. « Un jour il reçut devant le temple de Vénus Genitrix le sénat qui venait en corps lui présenter les décrets les plus honorifiques. Quelques-uns croient que Cornélius Balbus le retint comme il allait se lever ; d’autres disent qu’il ne l’essaya même pas, et qu’il regarda de mauvais œil Trébatius qui l’avertissait de le faire. Cela parut d’autant plus intolérable que lui-même avait été indigné que le tribun Pontius Aquila fût le seul membre de son collège qui ne se fût pas levé, lorsqu’il passait en triomphe devant les sièges des tribuns. Il lui cria : « Pontius Aquila, redemande-moi donc la république. » Et pendant plusieurs jours, il ne promit rien à personne qu’avec cette clause : « Si toutefois Pontius Aquila le permet. » Lorsque le plus récent historien de César arrivera à cette période de la vie de son héros, cette divinité lui fournira sans doute quelques réflexions éloquentes et profondes sur cette solitude morale qui est inhérente à la condition royale, et aussi, hélas ! inséparable des très-grandes âmes. Pour cela il n’aura qu’à consulter son expérience, et recueillant ses souvenirs se rappeler ces sept années gigantesques pendant lesquelles un moderne César marcha isolé, conversant avec ses voix intérieures, et regardant là où les dieux regardent seulement, vers le siège où trône l’impassible destinée qui seule est au-dessus des Olympiens.

C’est donc le Jupiter seul que Shakespeare a montré dans César, et c’est le Jupiter seul qu’il devait montrer ; et cela pour deux raisons : la première, c’est qu’à l’époque où il le présente le dieu s’était en effet séparé de l’homme ; la seconde, c’est que le Jupiter César est l’explication naturelle des Titans Brutus et Cassius. En ne présentant que