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sa liberté personnelle. Jaloux et envieux comme un démagogue par préjugé de race, soupçonneux comme un avare par esprit de caste, il considère toute supériorité naturelle comme une menace pour ses privilèges, toute mesure prise au nom du bien général comme un attentat contre son patrimoine, tout changement dans l’état comme un crime envers sa personne, et la trahison et l’assassinat changeant de nom apparaissent à son âme fermée à la justice comme de droit naturel. Voici Casca, le vrai Romain traditionnel, lourd, brutal, superstitieux, inaccessible à la pitié, sans vie morale, bête de proie organisée pour la force seule. Voici Antoine, le représentant de ce qu’on peut appeler la jeune Rome de l’époque, qui des traditions de l’aristocratie n’a gardé que l’élégance et les arts du commandement : celui-là ne demande pas mieux que d’entrer en accommodement avec les nécessités du temps et d’être le serviteur de l’avenir pourvu qu’il le gouverne. Voici Portia, type suprême de la matrone romaine dans les siècles de la république, héritière du nom et de l’âme de Caton, en qui brille la vertu romaine par excellence, la constance. Cicéron ne fait que traverser le drame, mais dans les quelques mots qu’il prononce, il trouve le moyen de laisser entrevoir un caractère, celui de l’homme éclairé, dégagé des erreurs du vulgaire, du sectateur de la philosophie grecque qui lui enseigne qu’un prodige est un phénomène dont la cause n’a pas encore été saisie ou soupçonnée.

Mais là où Shakespeare a montré toute l’étendue et toute la sûreté de son génie, c’est dans la peinture de l’âme de César. César n’est pas à proprement parler le héros de la pièce dont il porte le nom, et où il nous est présenté seulement pour mourir. C’est donc le César de la dernière heure qui nous apparaît seul, et c’est aussi le César de la dernière heure que Shakespeare nous a peint. Le voilà tel que nous le montrent les historiens dans les suprêmes années de ; sa vie, emporté pour ainsi dire au-