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vant comme ceux que notre Corneille a mis si souvent au théâtre. Ici nous ne pouvons assez nous étonner que Voltaire qui a traduit en vers libres les trois premiers actes de Jules César pour mettre cette pièce en opposition avec le théâtre de Corneille, n’ait pas vu, malgré tout son esprit, que l’exemple est mal choisi pour établir un contraste, cette pièce étant de tout le théâtre de Shakespeare celle qui se rapproche le plus de la tragédie classique en général et de la tragédie de Corneille en particulier. Qu’est-ce que Shakespeare nous montre en effet dans cette pièce ? les sentiments des âmes de haute condition opprimées par la raison d’état : c’est à ces mêmes sentiments élevés et presque abstraits que Corneille demande son pathétique ; Brutus est un frère de l’Émilie de Cinna. Dans cette pièce Shakespeare n’ouvre pas non plus devant l’imagination les perspectives infinies et fantastiques de ses autres drames ; la scène est vaste, aussi vaste que possible, mais elle est circonscrite cependant ; elle a pour cadre Rome et pour horizon l’univers romain. Certes voilà un large espace, et pourtant on peut dire qu’étant données les exigences du génie de Shakespeare, cet espace est restreint.

Des trois pièces empruntées par Shakespeare à Plutarque, Jules César est celle qui nous paraît la plus réellement romaine. Les deux autres nous tirent de Rome et du monde romain et promènent notre imagination sur les personnages analogues aux leurs qu’ont produits les autres sociétés civilisées. Coriolan dans ses dédains, sa noblesse, sa hauteur aristocratique pourrait être un gentilhomme anglais aussi bien qu’un patricien romain ; Shakespeare a pu voir, observer auprès de lui le modèle de ce caractère. Antoine et Cléopâtre sont deux amants nobles de toutes les sociétés aristocratiques ; Antoine est un grand seigneur, Cléopâtre une belle et grande dame de tous les temps. Ajoutez que ce caractère de sirène voluptueuse qui est celui de Cléopâtre nous tire de l’Orient