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346 LE ROI HENRI VIII.

mer de gloire, mais je suis allé plus loin que là où je pouvais tenir pied ; mon orgueil trop gonflé a éclaté sous moi à la fin et me laisse maintenant, vieux et fatigué du service, à la merci d’un courant brutal qui doit pour toujours m’engloutir. Vaine pompe, gloire de ce monde, je vous hais ! je sens que mon cœur vient de s’ouvrir nouvellement à la vérité. Oh ! combien misérable est le pauvre homme qui s’attache aux faveurs des princes ! Entre ce sourire auquel nous aspirons, entre ce doux regard des princes et leur disgrâce, il y a plus de souffrances et de craintes que n’en donnent les guerres et les femmes ; et lorsqu’un tel homme tombe, il tombe comme Lucifer, pour ne plus espérer jamais.


Entre CROMWELL, tout égaré.


WOLSEY.— Eh bien ! qu’y a-t-il, Cromwell ?

CROMWELL. — Je n’ai pas la force de parler, Milord.

WOLSEY. — Quoi, te voilà surpris de ma mauvaise fortune ? Est-ce que ton intelligence peut s’étonner qu’un homme puissant connaisse le déclin ? Ah ! si tu pleures, c’est que je suis bien tombé vraiment.

CROMWELL.— Comment se trouve Votre Grâce ?

WOLSEY. — Bien, vraiment ; je n’ai jamais été aussi réellement heureux, mon bon Cromwell. Je me connais maintenant moi-même, et je sens au dedans de moi une paix supérieure à toutes les dignités de la terre, une tranquille et calme conscience. Le roi m’a guéri, j’en remercie humblement Sa Grâce. De mes épaules, ces colonnes ruinées, il a par pitié enlevé un poids qui suffirait à enfoncer un navire, le poids de trop grands honneurs. Ô Cromwell, c’est là un fardeau, c’est là un fardeau trop lourd pour un homme qui aspire au ciel !

CROMWELL. — Je suis heureux que Votre Grâce ait su tirer de son malheur ce légitime profit.

WOLSEY. — J’espère que j’ai su l’en tirer : je suis capable maintenant, me semble-t-il, tant je me sens de force d’âme, d’endurer plus de misères et de plus grandes