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CHANSON.

Le Bouffon chante :
Viens, ô mort, viens,
Et dans une bière de triste cyprès, couche-moi.
Envole-toi, envole-toi, souffle de vie ;
Je suis tué par une cruelle belle fille
Mon blanc linceul, semé de if,
Oh prépare-le !
Jamais amant plus sincère ne représenta
La scène de sa mort.
Que pas une fleur, pas une douce fleur,
Soit jetée sur mon noir cercueil ;

Que pas un ami, pas un ami ne visite
Mon pauvre corps, là où mes os seront jetés.
Pour épargner mille et mille soupirs
Couchez-moi, oh ! couchez-moi,
Là où nul triste et fidèle amant ne puisse trouver mon tombeau,
Pour y pleurer.

Le Duc. — Voici pour tes peines.

Le Bouffon. — Il n’y a point de peines. Monseigneur ; j’ai pris plaisir à chanter, Monseigneur.

Le Duc. — Je vais alors payer ton plaisir.

Le Bouffon. — C’est juste, Monseigneur ; le plaisir doit se payer un jour ou l’autre.

Le Duc. — Donne-moi maintenant la permission de te laisser aller.

Le Bcuffon. — Allons, que le dieu de la mélancolie te protège, et que ton tailleur fasse ton pourpoint d’un taffetas d’une couleur changeante, car ton cœur est une véritable opale ! je voudrais qu’on embarquât sur mer les hommes d’une semblable constance, afin que leurs affaires fussent partout et leur but nul part ; car l’absence d’intention, c’est là ce qui fait toujours un bon voyage de rien. Adieu. (Il sort.}

Le Duc. — Que tous les autres s’en aillent. (Sortent