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20 COMME IL VOUS PLAIRA.

fait rarement honnêtes, et celles qu’elle fait bonnettes, elle les fait vraiment bien laides.

ROSALINDE. — Bon, voilà que tu transportes à la ffortune l’office de la nature ; la fortune règle les donsî de ce monde et non les formes de la nature.

CÉLIA. — Non pas : lorsque la nature a formé lune celle créature, cette créature ne peut-elle pas par accidiênt tomber dans le feu ? Ainsi encore, quoique la natiure nous ait donné assez d’esprit pour railler la fortmne, est-ce que la fo-tune ne nous a pas envoyé le fou oque voici venir pour interrompre notre entrelien ?

Entre PIERRE DE TOUCHE.

ROSALINDE. — En vérité, la fortune est trop dure pour* la nature, lorsqu’elle se sert de l’enfant de la nature pour lui faire interrompre l’esprit de la nature.

CÉLIA. — 11 se peut que son arrivée ne soit pas mon plus l’oeuvre de la fortune, mais celle de la nature, qui, s’apercevant que notre esprit naturel était trop émoussé pour raisonner sur de semblables déesses, nous a dépêché cet enfant de la nature pour nous servir de pierre à aiguiser ; car la stupidité d’un imbécile est la pierre à aiguiser des gens d’esprit. Eh bien, homme d’esprit ! <où allez-vous comme cela ?

PIERRE DE TOUCHE. — Maîtresse, il vous faut aller trouver votre père.

CÉLIA. — Vous a-t-on pris pour messager ?

PIERRE DE TOUCHE. — Non, sur mon honneur ; mais on m’a ordonné de venir vous chercher.

ROSALINDE. — Fou, où avez-vous appris ce serment ?

PIERRE DE TOUCHE. — Je l’ai appris d’un certain chevalier qui jurait sur son honneur que les crêpes étaient bonnes et jurait sur son honneur que la moutarde ne valait rien ; maintenant, moi, je soutiens que les crêpes ne valaient rien et que la moutarde était bonne. et cependant le chevalier ne se parjurait pas.

CÉLIA. — Comment allez-vous tirer de votre grand monceau de science la preuve de ce que vous dites ?