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ACTE II, SCÈNE II. 147

ISABELLA. — Le ciel protège Votre Honneur.

ANGELO, à part. — Amen ; car je suis en train d’aller à la tentation par ce chemin où les prières se croisent.

ISABELLA. — A quelle heure, demain, me présenterai-je devant Votre Seigneurie ?

ANGELO. — A n’importe quelle heure avant midi.

ISABELLA. — Dieu protège Votre Honneur.

(Sortent Isabella, Lucio et le prévôt.)

ANGELO. — Oui, me protège contre toi, contre ta vertu même ! Qu’est-ce à dire, qu’est-ce à dire ? Est-ce sa faute ou la mienne ? De celui qui tente ou de celui qui est tenté, quel est celui qui pèche le plus ? Ce n’est pas elle qui pèche, et ce n’est pas non plus elle qui me tente ; c’est moi, qui exposé au soleil près de la violette, au lieu d’embaumer comme la fleur, infecte comme la charogne sous l’influence de la saison fécondante. Se peut-il que la candeur de la femme soit plus puissante pour induire nos sens en tentation que sa légèreté ? Ayant déjà tant de terrains publics, désirerons-nous raser le sanctuaire pour y établir nos lieux d’aisance (6) ? Oh ! fi, fi, fi ! que fais- tu, et qui es-tu, Angelo ? La désires-tu vilainement pour ces choses même qui la font vertueuse ? Oh ! que son frère vive ! les larrons sont autorisés à voler, lorsque les juges dérobent eux-mêmes. Quoi, je l’aime donc puisque je désire encore l’entendre parler ; et me repaître de ses regards ? Qu’est-ce que je rêve là ? O ennemi rusé, qui pour prendre un saint amorces ton hameçon avec des saintes ! Dangereuse entre toutes est cette tentation qui nous conduit au péché par l’amour de la vertu. Jamais autrefois la courtisane, avec son double élément de force, l’art et la nature, n’avait eu la puissance d’irriter mon tempérament ; au contraire cette vertueuse vierge me subjugue entièrement ; jusqu’à ce jour, lorsque je voyais les hommes amoureux, je souriais, et je me demandais comment cela pouvait se faire. (Il sort.)