38 LA TEMPETE.
qui. ne peut recevoir de nouvelles de Naples (à moins que le soleil ne serve de courrier, car l’homme de la lune irait trop lentement) avant que les mentons nouveau-nés aient eu le temps de devenir rudes-et-bons pour le rasoir ? Celle grâce à qui nous avons été engloutis par la mer, sauf quelques-uns qui ont été rejetés sur le rivage ? Mais ceux-là sont désignés par ce coup de la destinée à exécuter un drame dont ce qui est passé n’est que le prologue et dont la suite nous est confiée, à vous et à moi.
SÉBASTIEN. — Qu’est-ce que cet amas de balivernes, et qu’entendez-vous dire ? Il est très-vrai que la fille de mon frère est reine de Tunis ; il est vrai qu’elle est également héritière de Naples, et qu’entre les deux régions il y a une certaine distance.
ANTONIO. — Une distance dont chaque coudée semble crier : « Comment cette Claribel fera-t-elle pour nous mesurer jamais à reculons de Tunis jusqu’à Naples ? Reste à Tunis, et que Sébastien s’éveille, J. Si cette torpeur qui vient de les saisir était la mort, eh. bien ! mais ils vaudraient tout autant qu’ils valent maintenant. Il y a quelqu’un qui pourrait gouverner Naples tout aussi bien que celui qui dort là ; il se trouverait des seigneurs capables d’un bavardage aussi intarissable et aussi oiseux que Gonzalo ; moi-même je pourrais faire- un choucas aussi profondément jacassier. Oh ! que ne portez-vous la même âme que moi ! Quelle aubaine serait ce sommeil pour votre élévation ! Me "comprenez-vous ?
SÉBASTIEN. — Il me semble que oui.
ANTONIO. — Et avec quel degré de satisfaction votre cœur accueille-t-il cette bonne fortune ?
SÉBASTIEN. — Je me rappelle que vous avez supplanté votre frère Prospero.
ANTONIO. — C’est vrai ; et voyez comme mes habits me vont bien ; ils ont bien-meilleure façon qu’autrefois. Les serviteurs de mon frère étaient alors mes compagnons, ils sont maintenant mes sujets.
SÉBASTIEN, — Mais votre conscience ?
ANTONIO. — La conscience, seigneur, où cela loge-t-il ?