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APPENDICE.

où il alla avec un tel contentement, que pouvez penser que reçoit une dame, contente de caresser celle de qui elle pense recevoir quelque injure. Aussi devant qu’effectuer sa charge, elle s’en vint visiter la nourrice, lui contant de cette commission si fâcheuse, et le désespoir auquel elle se voyait réduite, n’ayant encore osé découvrir à Lactance qui elle était, et la cause de cette métamorphose, quoiqu’elle vécût en un crève-cœur insupportable le voyant si affectionné à une autre, et vers laquelle il lui fallait servir d’ambassade amoureuse. Que s’il advenait que cette autre l’emportât, et l’eût pour mari, il n’y avait aucun moyen pour la tenir en vie, elle ne pouvant demeurer en être, tandis qu’une autre jouirait de ce qu’elle méritait toute seule. Qu’au reste, elle ne saurait que faire, et que si son père était averti de ce changement d’état et d’habits, elle ne voyait aucun chemin pour la sauver, connaissant son père fort sévère, et vu la naturelle jalousie des hommes de cette contrée. La nourrice continua là-dessus, la tançant de sa folie et de ce qu’elle n’avait voulu croire son conseil, vu qu’il serait malaisé que, son fait étant publié, elle trouvât homme qui la voulût épouser : et par ainsi les choses étant en bon état, encore lui conseilla de se retirer sans s’hasarder à pire fortune, qu’il y avait assez de jeunes hommes qui valaient bien Lactance, qui s’estimeraient heureux de l’avoir pour épouse. Nicole connaissait bien l’importance de son fait, et n’ignorait combien véritables étaient les paroles de cette bonne femme, pour ce demeura un longtemps comme ravie, mâchant et pensant le tout en sa pensée : puis tirant un grand soupir du profond de son estomac lui dit :

— Ma chère mère, je vois que l’amitié que me portez vous fait tenir ce langage tant à mon profit, et avantageux pour mon honneur et votre bonne réputation :