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LA PATRIE.

la couronne ? Qu’est-ce que l’escorte seigneuriale qui conduisait la reine au trône à côté du cortége séraphique qui va emmener la martyre au paradis ?

La vision de Kimbolton est la clôture idéale de l’œuvre conçue par Shakespeare. Combien notre respect pour cette œuvre grandira, si nous nous rappelons à travers quels obstacles, en dépit de quel despotisme le poëte l’a léguée à la postérité ! C’était après l’accession de Jacques Ier, au moment même où la papauté anglicane, créée par Henry VIII, semblait consacrée à jamais par l’avènement d’une dynastie nouvelle, que Shakespeare rappelait ainsi le forfait domestique qui avait fondé la suprématie religieuse de la royauté anglaise. Cette reine, que le tyran-modèle Henry VIII avait publiquement répudiée, dégradée, proscrite et sacrifiée, Shakespeare la réhabilitait, Shakespeare la sanctifiait ! Il réclamait l’admiration et la pitié de tous pour cette noble victime dont le tombeau, déjà relégué dans l’oubli, avait été la première assise de la théocratie britannique.

Quiconque connaît l’ombrageuse susceptibilité du despotisme, comprendra qu’il ne pouvait tolérer une œuvre aussi noble, sans lui imposer quelque rigoureuse concession. Sous un régime tyrannique, la pensée humaine ne saurait jamais être impunément généreuse ; il faut toujours qu’elle expie par quelque dégradation le crime de sa magnanimité. Voilà pourquoi Tartuffe a dû forcément se terminer par l’absurde apothéose du roi Louis XIV. Voilà pourquoi Henry VIII n’a pu s’achever que par le bizarre éloge de la reine Élisabeth et du roi Jacques Ier. Devons-nous, en bonne justice, attribuer à Shakespeare l’appendice qui donne pour conclusion à son œuvre la prophétie de Cranmer ? Cet appendice est si gauchement soudé, les scènes qu’il développe sont si complètement