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LA PATRIE.

de Buckingham. En vain l’évidence et le bon sens mettent à néant l’absurde déposition d’un témoin payé par les ennemis du duc ; en vain l’accusé proteste de son innocence ; en vain la bonne reine elle-même intercède pour lui. Henry est inexorable ; il ne peut pardonner à Buckingham de lui avoir fait peur. Buckingham est condamné. Le roi refuse de révoquer l’arrêt de mort, et quitte le tribunal pour aller danser chez le cardinal Wolsey. — Que dites-vous de cette mascarade placée tout exprès par le poëte la veille de l’exécution ? Quelle amère critique du despotisme que le brusque rapprochement de ces deux scènes ? Demain un des plus loyaux serviteurs du roi, un des plus grands personnages du royaume, le duc de Buckingham, connétable d’Angleterre, doit être pendu haut et court, et aujourd’hui le roi se déguise en berger ! Le gala, du reste, sera magnifique. Le peuple, que le roi reprochait tout à l’heure au cardinal de trop pressurer, fait les frais de cette fête donnée par le cardinal en l’honneur du roi. Déjà le palais d’York resplendit de lumières ; les hautbois jouent et offrent aux invités la bienvenue de leur symphonie. Voici paraître, au milieu d’un essaim joyeux de jolies femmes, la ravissante lady Anne de Boleyn. L’arrivée de ces dames est saluée par les exclamations joyeuses d’un groupe de seigneurs.

— Ah ! dit sir Thomas Lowell à lord Sands, si votre seigneurie était pour le moment confesseur d’une ou deux d’entre elles !

— Je le voudrais, répond Sands, je leur ferais subir une pénitence bien douce.

— Douce ! comment ?

— Aussi douce que peut la faire un lit de plume.

Si la conversation en est là avant le souper, où en sera-t-elle après ? Les convives prennent place autour de