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LA PATRIE.

seulement le fils auguste du vainqueur de Bosworth, il était le premier des papes-rois. Il était le créateur de ce pontificat suprême qui confondait désormais la couronne avec la tiare et que les Tudors venaient de léguer aux Stuarts. — Henry VIII était le saint Pierre de l’anglicanisme.

Cependant, au commencement du dix-septième siècle, Shakespeare eut une pensée aussi généreuse que hardie : il voulut exposer à la lumière éclatante du théâtre les faits sombres, relégués dans les chroniques, qui avaient été l’occasion, sinon la cause, de la réforme religieuse récemment opérée dans son pays. Il entreprit de rappeler à ses contemporains complaisamment oublieux l’origine mystérieuse de ce grand coup d’État qui avait transformé la monarchie britannique en théocratie.

Cette autonomie religieuse dont l’Angleterre était si fière, à quoi la devait-elle ? À la préméditation d’un sage ? Non. À une fantaisie de tyran. Le roi Henry VIII s’était jadis épris de lady Anne de Boleyn, et ce caprice, contrarié par la cour de Rome, avait à jamais brouillé l’Angleterre avec la cour de Rome ; de ce caprice datait la révolution sociale qui avait transformé la Grande-Bretagne catholique en puissance protestante ; à ce caprice, des millions d’âmes devaient une liturgie nouvelle, une foi nouvelle, une Église nouvelle, un Dieu nouveau. C’est donc le récit de ce caprice que Shakespeare tenta de développer sur la scène. Il choisit, pour en faire un drame, la donnée la plus délicate et la plus scabreuse que pût lui offrir l’histoire de son pays. En abordant un pareil sujet, l’auteur s’exposait à soulever toutes les colères du pouvoir ; car il mettait en question le régime existant en insistant sur le crime domestique qui avait inauguré ce régime. Pour épouser Anne de Boleyn, Henry VIII avait répudié Catherine d’Aragon ; il