Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1873, tome 13.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
32
LA PATRIE.

rivaux, Marguerite d’Anjou, Richard de Glocester. Dans cette pensée, il a exagéré le rôle de l’un, comme il a exalté le rôle de l’autre. L’indomptable énergie qui anime celle-là pour la cause de la Rose Rouge, stimule celui-ci en faveur de la Rose Blanche. Des deux parts même activité, même émulation, même acharnement. Ainsi que Marguerite, Richard est le chef de son parti. En même temps que Marguerite donne le mot d’ordre à la résistance, Richard donne le signal de l’attaque. La guerre des Deux Roses n’est qu’un long duel entre ces deux forces contraires.

Shakespeare a dû sacrifier ici la vérité historique à la pensée dramatique. Historiquement, Richard n’a pas été le rival de Marguerite d’Anjou, à peine a-t-il été son contemporain ; il n’avait que trois ans, en 1455, quand fut livrée la première bataille de Saint-Albans, qui commença la guerre, et il n’avait que dix-neuf ans, en 1471, quand eut lieu la bataille de Wakefield, qui la termina. Le poëte a donc fait violence à l’histoire, quand, antidatant l’acte de naissance de son personnage, il nous l’a montré, dans cette première bataille de Saint-Albans, tuant de sa propre main Somerset, général en chef lancastrien, puis, en 1461, à la bataille de Towton, vengeant Rutland assassiné sur l’assassin Clifford ; enfin, en 1470, délivrant son frère Édouard IV, prisonnier de l’évêque d’York.

Mais tous ces anachrosismes, qui choqueront peut-être les pédants, étaient imposés à Shakespeare par son œuvre. C’est grâce à ces erreurs que le caractère de Richard acquiert sa vraisemblance dramatique. C’est par cette légende qu’est expliquée la nature du futur usurpateur. Dans Henry VI, Richard est le conseiller de son père, le duc d’York, le libérateur de son frère Édouard IV, le sauveur de sa maison. C’est par lui que tous les succès sont obtenus, que toutes les fautes sont réparées. Richard