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LA PATRIE.

Hercule lui-même doit succomber sous le nombre. — Les coups nombreux que j’ai reçus et les coups plus nombreux que j’ai rendus — ont enlevé leur énergie à mes membres robustes ; — et, en dépit de mes dépits, je dois céder à la mort.

(Texte de 1595).

Rien de moins pathétique et de plus faux que cette réponse de l’homme de guerre féodal se comparant, au moment d’expirer, à un demi-dieu de l’antiquité. Ici le mauvais est irrémédiable ; il n’y a pas lieu à correction, mais à suppression. Aussi Shakespeare n’hésite pas, il rature d’un trait de plume la phrase malencontreuse ; et, au lieu de ces paroles pédantesques, il fait proférer à Warwick un cri du cœur. Ce n’est plus à Hercule que songe le mourant, c’est à son bien-aimé frère tombé, comme lui, sur le champ de bataille. Warwick ignore que Montague a succombé, et il lui adresse ce touchant appel :

warwick.

— Alors même je ne fuirais pas… Ah ! Montague ! — Si tu es là, frère bien-aimé, prends ma main, — et sous tes lèvres retiens un moment mon âme !… Tu ne m’aimes pas ; car, si tu m’aimais, frère, — tes larmes auraient déjà lavé les caillots de sang — qui collent mes lèvres et m’empêchent de parler !… — Viens vite. Montague, ou je suis mort.

(Texte de 1623.)

Nous pourrions prolonger la comparaison ; mais les extraits qui viennent d’être rapprochés suffiront à édifier le lecteur sur la valeur du travail de rénovation accompli par Shakespeare. Pourtant, si efficace qu’ait été ce travail, il n’a pu élever Henry VI à la hauteur des œuvres entièrement composées par le maître. Bien des fautes, bien des faiblesses, bien des négligences ont échappé à une révision malheureusement incomplète. L’ouvrage, n’ayant été que partiellement remanié, nous choque par de fatales disparates de style. Les belles scènes que le maître a refaites contrastent péniblement avec les scènes médiocres qu’il a laissées subsister. Ses retouches font ressortir, par leur éclat même, la pauvreté du tableau