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INTRODUCTION.

Passons à une autre scène, cette célèbre scène où le cardinal de Beaufort, complice de l’assassinat du duc de Glocester, agonise, hanté par le spectre de l’assassiné. Le roi Henry, Salisbury et Warwick, penchés sur le chevet du moribond, recueillent ses derniers murmures :

le cardinal.

— Quoi ! n’est-il pas mort dans son lit ? — Que vouliez-vous donc que je fisse ? — Puis-je faire vivre les gens bon gré mal gré ?… — L’ami, va me chercher le poison que m’a envoyé l’apothicaire… — Oh ! voyez le spectre du duc Homphroy qui se dresse — et me regarde en face ! Voyez, voyez ! Relissez ses cheveux ! — Tenez, le voilà reparti… Oh ! oh ! oh !

(Texte de 1595).

Certes il y a de la terreur dans ce monologue abrupt et incohérent. Mais quelle grandeur sinistre lui ajoute la retouche que voici !

le cardinal.

— Faites-moi mon procès quand vous voudrez. — N’est-il pas mort dans son lit ? Où devait-il mourir ? — Puis-je faire vivre les gens bon gré mal gré ?… — Oh ! ne me torturez pas, j’avouerai. — Encore vivant ! Alors montrez-moi où il est. — Je donnerai mille livres pour le voir. — Il n’a pas d’yeux… La poussière l’a aveuglé. — Relissez ses cheveux. Voyez ! voyez ! ils se dressent — comme des gluaux tendus pour attraper mon âme au vol !… — Donnez-moi à boire et dites à l’apothicaire — d’apporter le poison violent que j’ai acheté de lui.

(Texte de 1623).

Tout Shakespeare est dans ce trait nouveau et surprenant : Relissez ses cheveux ! voyez ! voyez ! ils se dressent comme des gluaux tendus pour attraper mon âme au vol ! — Observons encore. Aussi bien le poëte arrive à la fin de sa tâche : il relit une des dernières scènes, celle où Warwick, frappé à mort, se traîne sur le champ de bataille de Barnet. Un des compagnons d’armes du Faiseur de rois l’adjure de fuir et lui promet de nouveaux succès, s’il consent à se retirer.

warwick.

— Alors même je ne luirais pas, pas plus qu’en ce moment. — Mais