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INTRODUCTION.

toute sa vie. Il aggravait par une double imposture cette indiscrétion : il donnait comme nouvellement corrigé et augmenté l’ouvrage réimprimé purement et simplement d’après l’édition de 1595, et il faisait entendre que cet ouvrage était tout entier écrit par Shakespeare ! — Cette triste spéculation réussit-elle ? Nous l’ignorons. Toujours est-il que l’annonce mensongère imaginée par Pavier ne pouvait manquer de piquer vivement la curiosité. On savait, en effet, dans le monde des lettres, que Shakespeare avait fait jadis des additions considérables au drame historique publié en 1595 ; mais le manuscrit ayant été scrupuleusement gardé dans les archives du théâtre du Globe, ces additions étaient restées inédites ; et le public trompé par Pavier dut attendre, pour les lire, la publication du grand in-folio de 1623.

Enfin la curiosité générale put être satisfaite. Imprimé sous la surveillance des deux comédiens Héminge et Condell, le drame reparut en 1623, tel que l’avait laissé la seconde retouche de Shakespeare, formant la deuxième et la troisième partie de Henry VI. Héminge et Condell remplirent-ils les intentions de leur illustre camarade en insérant parmi ses œuvres authentiques un ouvrage qu’il n’avait fait que reviser ? Shakespeare les avait-il autorisés, par quelque instruction spéciale, à attacher définitivement son nom à un travail si longtemps désavoué par lui ? Je ne l’affirmerais pas. Je suis bien plutôt porté à croire que les deux comédiens prirent sur eux la responsabilité de cette publication. Des éditeurs qui n’ont pas hésité d’attribuer à Shakespeare un Titus Andronicus que Shakespeare avait à peine retouché, devaient certes se croire fondés à introduire dans son théâtre ce Henry VI qu’il avait si largement remanié et qui, d’ailleurs, par la donnée historique, se rattachait logiquement à Richard III.