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HENRY VI.

Ah ! misérable homme ! Je voudrais être morte fille, — et ne t’avoir jamais vu, ne t’avoir jamais donné de fils, — quand je vois en toi un père si dénaturé ! — A-t-il mérité de perdre ainsi son patrimoine ? — Si tu l’avais aimé la moitié seulement autant que je l’aime, — s’il t’avait coûté les mêmes peines qu’à moi, — si tu l’avais nourri, comme moi, avec ton sang, — tu aurais versé ici le sang le plus pur de ton cœur, — avant de faire ton héritier de ce duc sauvage — et de déshériter ton fils unique.

le prince.

— Mon père, vous ne pouvez pas me déshériter. — Si vous êtes roi, pourquoi ne vous succéderais-je pas ?

le roi henry.

— Pardon, Marguerite ; pardon, cher fils ; — le comte de Warwick et le duc m’ont forcé.

la reine marguerite.

— T’ont forcé ! Es-tu roi pour être ainsi forcé ? — Je rougis de t’entendre. Ah ! misérable timoré ! — Tu nous as tous perdus, toi, ton fils et moi. — Tu as donné un tel pouvoir à la maison d’York — que tu ne régneras plus que par sa tolérance. — En léguant la couronne à lui et à ses héritiers, — tu creuses ton sépulcre — pour y descendre bien avant ton heure. — Warwick est chancelier et lord de Calais, — le farouche Fauconbridge commande le détroit, — le duc est fait protecteur du royaume, — et tu crois être en sûreté ! Oui, en sûreté, — comme l’agneau tremblant qu’environnent les loups. — Si j’avais été là, moi qui ne suis qu’une faible femme, — les soldats m’auraient fait sauter sur leurs piques — avant que j’eusse consenti à un pareil acte. — Mais tu préfères ta vie à ton honneur. — Cela étant, Henry, je répudie moi-même — ta table et ton lit — jusqu’à ce que j’aie vu révoquer l’acte du parlement — qui déshérite mon fils. — Les lords du Nord, qui ont abjuré tes drapeaux, — suivront les miens, dès