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INTRODUCTION.

Avant que Shakespeare parût, il existait dans le vieux répertoire anglais une série d’ouvrages dramatiques, dont le sujet était emprunté aux chroniques de l’Angleterre. Le théâtre naissant, taxé par les puritains d’immoralité et d’imposture, avait riposté à ces attaques en développant sur la scène les annales nationales. La réplique était victorieuse. On accusait le théâtre de ne vivre que de fictions mensongères ; le théâtre répondait en exposant devant tous les archives mêmes de la vérité. « La plupart de nos pièces, écrivait Thomas Nashe en 1592, sont extraites de nos chroniques ; et dans ces pièces les exploits de nos pères, ensevelis depuis longtemps dans le bronze rouillé et dans les livres vermoulus, sont ressuscités, et eux-mêmes évoqués du tombeau de l’oubli et appelés à défendre devant tous leur antique honneur. Là toutes les supercheries, toutes les fourberies, dorées de sainteté extérieure, tous les vers rongeurs qui vivent de la rouille de la paix, sont disséqués dans le vif. On y montre le mauvais succès de la trahison, la chute des ambitieux hâtifs, la fin misérable des usurpateurs, la misère des dissensions civiles, et avec quelle rigueur Dieu punit toujours le meurtre. » Certes c’était une idée grandement civilisatrice que celle-là : évoquer sur la scène le passé de la patrie, y ressusciter ses grands hommes, y faire revivre ses gloires et ses douleurs, transformer la plate-forme théâtrale en une chaire d’enseignement populaire ; apprendre aux ignorants mêmes les faits et gestes des générations évanouies, et intéresser la foule à la vie du peuple en lui montrant la morale à travers l’histoire. Dès 1580, le groupe littéraire au milieu duquel avait germé cette idée s’était mis vaillamment à l’œuvre. On s’était partagé la besogne. Et ainsi avaient été successivement produits sur la scène le Roi Jean, par un anonyme, Édouard I, par George Peele, Édouard II, par