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LA PATRIE.

Chettle a consulté des personnes respectables, et, après cette instruction, il est absolument converti. Il reconnaît hautement la fausseté des insinuations émises par Greene : non, Shakespeare n’est pas capable d’un acte d’improbité ; non, Shakespeare n’est pas un plagiaire ! et Chettle confus s’incline devant celui que Greene a diffamé ; et il salue cette haute loyauté qui a été un instant méconnue. Ses excuses se terminent par un hommage.

Cependant, vous le savez, de la calomnie il reste toujours quelque chose. Une diffamation, si bien réfutée qu’elle soit, laisse trop souvent on ne sait quelle trace après elle. En dépit de la rétractation de Chettle, l’insulte de Greene a laissé planer sur la mémoire de Shakespeare un doute que la postérité a désiré éclaircir. Afin de satisfaire cette curiosité, la critique a recommencé l’enquête qui s’était terminée en 1592 par l’éclatante justification de notre poëte. Les commentateurs ont lu et relu les lignes écrites par Greene, et ont fini par découvrir, détail singulier, que ces mots : cœur de tigre caché sous la peau d’un comédien, Tyger's heart wrapt in a player’s hyde, étaient la reproduction presque textuelle de ce vers qui se trouve à la fin de la scène IV de la troisième partie de Henry VI :

O tiger’s heart, wrapp’d in a woman’s hide !
Ô cœur de tigre caché sous la peau d’une femme !

Or, quel motif pouvait avoir induit Robert Greene à appliquer à Shakespeare ce vers de Henry VI ? Était-ce donc spécialement à l’occasion de Henry VI que Shakespeare s’était attiré la rancune de Greene ? Était-ce donc à propos de Henry VI que Greene croyait pouvoir se plaindre d’un plagiat ? Essayons de pénétrer ce mystère.