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INTRODUCTION.

euphuïste, que Greene avait formée avec les auteurs renommés de ce temps-là, Peele, Nash, Kid et Lodge, ne tarda pas à être éclipsée par une gloire inattendue. Des œuvres nouvelles, les Deux Gentilshommes de Vérone, le Songe d’une Nuit d’été, Peines d’amour perdues, Roméo et Juliette, révélèrent à l’Angleterre l’idéal que jusqu’ici elle avait vainement cherché. Le faux goût fit place à l’art suprême. Abandonné par la vogue qui l’avait soutenu jusqu’alors, Greene se vit retirer peu à peu son gagne-pain. La plume ne suffit plus à le faire vivre ; ses opuscules se vendaient mal ; il eut recours aux expédients. La misère lui retira ses derniers scrupules. Poursuivi par la dette criarde, il passa de la Bohême des lettres à la Cour des Miracles du vice. Le scribe se fit truand. Greene apprit à tricher aux dés et à duper les gens. Il s’associa aux escrocs et aux filous de la capitale. Un chef de ces Troyens, portant le sobriquet de Cutting Ball, lui donna une garde d’honneur pour le protéger des records ; et maître Robert reconnut cet hommage en prenant pour concubine la propre sœur de ce Ball, une matrulle, dont il eut un fils, appelé Fortuné, que son ennemi Gabriel Harvey baptisa ironiquement Infortunatus. Enfin il vint un moment où le lupanar même ne voulut plus de ce poëte. Un jour, il fut jeté à la porte, et peut-être fût-il mort de misère, si des personnes charitables ne l’avaient recueilli. Ces braves gens, un savetier et sa femme, offrirent à sa détresse l’hospitalité de leur pauvreté. Ils lui firent crédit, ils le logèrent, ils le nourrirent, ils lui avancèrent même un peu d’argent, ils le tirèrent souvent des plus grands embarras. Quand il fallait laver l’unique chemise de maître Greene, le savetier lui prêtait la sienne, et maître Greene pouvait toujours sortir avec du linge. Tout en vivotant ainsi, il rencontra par hasard, dans les premiers jours du mois d’août 1592,