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coutumière maraude. Le héros de Shakespeare accepte la guerre, mais il la veut loyale et généreuse ; il en élimine tous les éléments impurs, il en répudie le brigandage et la cruauté. La guerre est pour lui un grand duel chevaleresque dont l’honneur doit régler rigoureusement les conditions. Anathème au mécréant qui fausserait par une improbité l’arbitrage sacré du glaive, et qui entacherait de fraude ce jugement de Dieu !

Henry vit sur le champ de bataille même en perpétuelle communion avec la Providence. Il accepte d’avance l’arrêt suprême et il le bénit. Cette humilité est sa force. Il semble que d’un bout à l’autre de sa carrière il soit guidé par la grâce divine : une irrésistible puissance marque les étapes de sa marche triomphale. — Cet être extraordinaire a, pour traverser la scène shakespearienne, un sauf-conduit tout personnel, Le destin, que le poëte nous a toujours montré en antagonisme avec le libre arbitre humain, se conforme par un merveilleux accord à cette volonté unique. L’immense force des choses, contre laquelle nous avons vu se briser la sublime pensée de Brutus, collabore visiblement avec le génie de Henry. La certitude d’être secouru d’en haut, lui inspire l’audace nécessaire à ses prouesses. Sa témérité a la foi. Lorsque son frère Glocester, pour le dissuader de sa hasardeuse entreprise, lui montre au delà de la Somme les Français qui s’avancent en masses profondes pour lui barrer la route, il répond, le sourire aux lèvres : « Nous sommes dans la main de Dieu, frère, non dans la leur. » Cela dit, il passe la rivière, et vient fièrement camper en plein péril dans la plaine d’Azincourt.

À demain donc la grande journée : « Figurez-vous maintenant l’heure où les murmures goutte à goutte et les ténèbres à flot remplissent l’immense vaisseau de l’univers. D’un camp à l’autre, à travers la sombre ma-