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au dehors, d’étendre au loin son influence, son prestige, son ascendant, ses idées, sa langue, sa race. Le procédé moderne de cette propagande, c’est l’échange pacifique ; le procédé antique et féodal, c’est l’invasion violente. Dans son élan primitif vers le continent, la nation britannique trouvait fatalement un obstacle chez la nation la plus voisine. Son effort d’envahissement provoquait à quelques milles de ses côtes un égal effort de résistance. De là d’interminables conflits qu’une trêve pouvait tout au plus suspendre quelques mois. La guerre contre la France, prolongée par une hostilité de cent ans, était devenue pour l’Angleterre un état chronique, normal, organique ; elle était passée dans le sang du peuple ; elle faisait partie de son tempérament ; elle était son besoin, elle était sa passion, — besoin brutal, passion sauvage. Au moyen âge, quiconque naissait Anglais, naissait ennemi du Français. C’était une animosité héréditaire que les générations se transmettaient comme un legs de famille. S’il était au delà de la Manche un sentiment public, c’était celui-là. L’Angleterre s’affirmait patrie surtout par le cri : Guerre à la France ! Le gouvernement de Henry V était trop profondément national pour ne pas céder à cet entraînement patriotique. L’élu du peuple était en quelque sorte sommé par son élection même d’agir dans un sens belliqueux. De là cette expédition fameuse qui débarqua sur nos plages en 1414, et dont Monstrelet nous a raconté en détail les triomphales étapes.

Fidèle à la vérité historique, Shakespeare va donc mettre son héros en campagne. Mais il veut que cette entreprise, réclamée par des instincts aveugles et farouches, soit approuvée cette fois par la raison la plus haute. Le poëte accepte la guerre comme moyen, mais il la répudie comme but. La guerre pour la guerre lui fait horreur :