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s’emparant de Meaux par la famine, puis, froidement, après la victoire, faisant décapiter à Paris « messire Louis Gast, Denys de Vaulru, maistre Jehan de Rouvières et celuy qui avoit sonné le cor durant le siége, » et ordonnant que « leurs testes fussent mises sur lances ès halles, et leurs corps pendus au gibet par les aisselles[1]. » Le héros du poëte désavouerait hautement les atrocités de son homonyme. C’est un vainqueur généreux qui, après la bataille de Shrewsbury, pleure à deux genoux sur le cadavre d’Hotspur et ne réclame le prisonnier Douglas que pour le rendre à la liberté. C’est un indulgent conquérant qui s’écrie : « Quand la cruauté et la pitié jouent pour un royaume, c’est la douce joueuse qui gagne ! » C’est un prince, ennemi des rigueurs, qui se vante de ne pas être un tyran : We are no tyrant ! C’est un monarque miséricordieux qui fait relâcher un malheureux coupable de propos séditieux, en disant : Soyons clément, let us be merciful. Loin d’être de « hautain vouloir, » loin d’avoir la parole « tranchante comme un rasoir, » Henry a le verbe affable et avenant ; il est accessible à tous, abordable surtout aux petits. Ce n’est pas lui, le roi du peuple, qui mettrait entre le peuple et le roi la barrière infranchissable de l’étiquette ! Il confesse humblement son goût pour la petite bière et se proclame le prince des bons compagnons. Volontiers il se débarrasse de « l’incommode et splendide vêtement de majesté » afin de s’encanailler à l’aise avec des subalternes. La veille de la plus périlleuse bataille, il désertera la tente royale pour aller s’asseoir au plus modeste bivouac. Il frappera sur l’épaule à tous ses vétérans, il les désignera par leurs noms, et il rappellera à ce cher Fluellen qu’il est son compatriote. Son altesse est si peu fière qu’elle s’exposera, pour rire, à être souffletée par un simple soldat !

  1. Monstrelet.