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significatives que prononce Henry V, dès son avénement à la royauté, donnent la clef et de son passé et de son avenir. C’est pour pouvoir atteindre au trône de France, c’est pour être capable un jour d’escalader ce suprême sommet des grandeurs humaines, que Henry, dépouillant la majesté princière, enlevé de bonne heure à la vie factice des cours, soustrait à toutes les fictions qui énervent les enfances royales, jeté à même la vie, a reçu la rude éducation du peuple. Une âpre et précoce adolescence l’a d’avance préparé à toutes les épreuves, endurci à toutes les fatigues, aguerri à toutes les détresses. Dans les périlleuses équipées d’Eastcheap et de Gadshill, il s’est tout jeune habitué à payer d’audace ; il a contracté là cet esprit d’aventure qui un jour, grandi par le champ de bataille, doit devenir le génie de la victoire. — À l’école populaire, Henry s’est formé les idées comme il s’est trempé le caractère. Il a appris à juger les questions sociales, non au point de vue monarchique, mais au point de vue du peuple. Et c’est en cela qu’il se distingue essentiellement de son père. — Henry IV, élevé dans la religion du droit divin, conservait, sur le trône où une révolte l’avait placé, toutes ses préventions royalistes. Il était l’agent sceptique et inquiet d’une fatalité révolutionnaire. L’usurpation, à laquelle il avait été en quelque sorte forcé par les événements, le rongeait et le minait comme un remords. Il ne croyait pas en conscience à la légitimité du pouvoir que lui avait délégué l’acclamation publique. De là sa mélancolie, sa tristesse, son anxiété, ses continuelles insomnies et les angoisses de son agonie. — Le prince de Galles, lui, ne partage pas les scrupules paternels ; élevé autrement, il voit les choses autrement ; il est exempt des préjugés de la superstition monarchique ; il n’a pas de doute sur la validité de son mandat, il a la foi du peuple ; ce que la nation a