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du blanc jarretier, qu’il portait entour la jambe. » — Monstrelet.

(43) « Quand les Anglais furent arrivés près du camp des Français, où se trouvaient trois cents pièces de bronze, outre plusieurs autres menues pièces et engins subtils inconnus des Anglais, tous brusquement s’élancèrent au pas de charge (excepté le comte de Shrewbury[1], qui, à cause de son grand âge, chevauchait sur une petite haquenée), attaquèrent furieusement les Français, assaillirent l’entrée du camp, et par telle force y pénétrèrent. Le conflit était resté douteux durant deux longues heures, lorsque les seigneurs de Montauban et de Humadayre, avec une grande compagnie de Français, arrivèrent sur le champ de bataille et commencèrent un nouveau combat. Les canonniers, voyant que les Anglais s’approchaient, déchargèrent leur artillerie et tuèrent trois cents personnes près du comte. Celui-ci, reconnaissant l’imminent péril et le subtil labyrinthe, dans lequel lui et ses gens étaient enfermés et enveloppés, insouciant de son propre salut et désirant sauver la vie de son bien-aimé fils, lord Lisle[2], le somma, le pressa et lui conseilla de quitter le champ de bataille et de s’enfuir. Le fils répondit que ce serait un acte déshonnête et dénaturé d’abandonner son père dans un si extrême danger, et qu’il voulait vider la coupe fatale dont aurait goûté son père. Le noble comte et consolant capitaine lui dit : — Ô mon fils, mon fils ! moi qui durant tant d’années ai été la terreur et le fléau des Français, qui ai détruit tant de villes et déconfit tant d’armées en rase campagne et martial conflit, je ne puis mourir ici, pour l’honneur de mon pays, sans grande gloire et perpétuelle renommée, ni me sauver et fuir sans perpétuelle honte et continuelle infamie. Mais puisque voici ta première campagne et ta première entreprise, la fuite ne saurait être pour toi une honte, ni la mort une gloire. L’homme courageux fuit sagement, comme le téméraire demeure follement. Ma fuite ne serait pas seulement un déshonneur pour moi et pour ma race, elle serait la ruine de toute mon armée : ton départ sauvera ta vie et te permettra une autre fois, si je suis tué, de venger ma mort en combattant pour la gloire de ton prince et pour le bien de son royaume.

» Mais la nature agit de telle sorte sur ce fils, que ni le désir de la vie ni le soin de sa sécurité ne purent l’enlever ni l’arracher à son père naturel. Celui-ci, voyant la résolution de son enfant et le grand danger où ils se trouvaient, encouragea ses soldats, regaillar-

  1. Lord Talbot dans le drame.
  2. John Talbot.