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Mort triomphante, sous la souillure de la captivité, — la valeur du jeune Talbot me fait te sourire ! — Quand il m’a vu défaillant et à genoux, — il a brandi au-dessus de moi son épée sanglante, — et, tel qu’un lion affamé, il a multiplié — les actes d’âpre fureur et de farouche emportement. — Mais dès que mon défenseur en courroux s’est vu seul, — veillant mon agonie sans qu’aucun l’attaquât, — un vertige de furie, un accès de rage — l’ont fait soudain bondir de mon côté — au plus épais des rangs français ; — et c’est dans cette mer de sang que mon enfant a noyé — sa transcendante ardeur ; c’est là qu’est mort — mon Icare dans sa fleur et dans sa fierté.


Entrent des soldats portant le corps de John Talbot.


le serviteur, à Talbot.

— Ô mon cher lord ! Las ! voilà votre fils qu’on apporte.

talbot.

— Ô mort bouffonne qui nous nargues de ton ricanement, — bientôt nous serons affranchis de ton insolente tyrannie. — Accouplés dans les liens de l’éternité, — et fendant à tire-d’aile l’ondoyant azur, les deux Talbots, — en dépit de toi, échapperont à la mortalité… — Ô toi, dont les blessures siéent à l’horreur de ta mort, — parle à ton père, avant d’expirer… Brave le trépas en parlant, qu’il le veuille ou non. — Suppose que c’est un Français et ton ennemi… — Pauvre enfant ! on dirait qu’il sourit, comme pour dire : — « Si la mort avait été française, la mort serait morte aujourd’hui. » — Approchez, approchez, et déposez-le dans les bras de son père ; — mes esprits ne peuvent plus supporter tant de maux. — Soldats, adieu ! j’ai ce que je voulais avoir, — maintenant que mes vieux bras sont le tombeau du jeune Talbot.

Il meurt (43).