Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1873, tome 12.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surrection, le lord lieutenant était réduit à parlementer avec elle. Il essaya donc d’obtenir par la persuasion la soumission qu’il ne pouvait plus imposer par la violence : il eut une entrevue avec le chef de la révolte, le calma par quelques concessions équitables, accorda provisoirement aux Irlandais le libre exercice du culte catholique, et conclut une trêve qui pouvait être renouvelée de six semaines en six semaines. Cette transaction généreuse fut violemment dénoncée par les implacables ministres. Essex fut accusé en plein conseil de n’avoir pactisé avec la rébellion que pour se mettre à sa tête et la lancer sur l’Angleterre protestante. On lui reprocha de vouloir détrôner la reine Élisabeth, comme jadis Henry de Lancastre avait dépossédé Richard II. Bref, il fut décidé qu’un corps d’observation serait porté au plus vite sur la côte occidentale pour empêcher le débarquement imminent.

Ainsi la cabale ministérielle l’emportait. Quelques mois avaient suffi pour travestir en félon ce favori si puissant naguère, et pour mettre au ban de l’Angleterre le généralissime anglais. — C’est cependant les quelques mois où se consommait ainsi la perte d’Essex que l’auteur de Henry V avait eu l’audace de faire publiquement des vœux pour son succès. Souhaits intrépides par lesquels le poëte, du haut de son théâtre, protestait d’avance contre l’odieuse intrigue qui allait triompher.

Le machiavélisme des hommes d’État devait prévaloir contre les prières de toute une nation, contre les souhaits de la muse. Essex revint d’Irlande, non, comme le désirait Shakespeare, par une heureuse journée, salué des cris de joie d’un peuple accouru de toutes parts au-devant de lui, non, comme le voulait Shakespeare, en conquérant et en vainqueur, mais par un jour de deuil, au milieu de l’alarme et de la consternation publique, en criminel réduit à se justifier. Il revint d’Irlande, non