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INTRODUCTION.

soirée perdue ? Qui nous décrira la salle de spectacle ? qui nous révélera les secrets de la coulisse ? qui nous dira et la distribution des rôles et le jeu des acteurs et les émotions de l’auditoire ? qui nous nommera les spectateurs privilégiés qui eurent l’honneur d’assister à la révélation du chef-d’œuvre ? Hélas ! les détails manquent ; l’histoire, qui nous conte tant de choses inutiles, reste désespérément muette sur toutes ces questions palpitantes. Tout ce que nous savons, c’est qu’un nouveau règne venait de donner à Shakespeare un public tout nouveau. Parmi ceux qui assistaient, en août 1602, à la représentation d’Othello dans le château de Harefield, bien peu sans doute ont dû voir jouer le Roi Lear, en 1606, au palais de Whitehall. Dans l’intervalle de ces deux événements, la reine Élisabeth était morte, et le fils de Marie Stuart, son successeur, avait transporté à Winsdor la cour d’Holyrood Les familiers de la feue reine avaient été congédiés. À l’exception du secrétaire d’État Cécil, créé marquis de Salisbury, les favoris du dernier régime avaient perdu faveur, tandis que les disgraciés rentraient en grâce. Raleigh, le rival d’Essex, avait remplacé à la Tour, Southampton, le confident d’Essex. Il est donc permis de croire que le noble Henri Wriotesley, récemment élargi, figurait dans le parterre princier réuni à Whitehall et que William eut cette fois le bonheur d’être applaudi par l’ami généreux à qui il avait dédié tous bas ses Sonnets Ce qui est certain, c’est que Jacques Ier était là, entouré de sa jeune famille. Quel effet produisit sur sa majesté la nouvelle œuvre du maître ? Je me figure que le grave fondateur de la papauté anglicane dut assister à cette solennité avec l’attitude hautaine d’un souverain omnipotent. Je croire voir d’ici le sourire légèrement dédaigneux par lequel Jacques devait accueillir de temps à autre les fantaisies dramatiques de l’histrion-poëte. Et pourtant quelle n’eût pas été son émotion, s’il avait pu se douter, ce soir-là, que le rideau