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EXTRAIT DU ROMAN DE BRUT.

Je n’ai si bon appartenant
Qui d’amour me fasse semblant.
Bien me dit voir ma jeune fille,
Que je blamois, Cordéille,
Qui me dit tant comme je aurois,
Tant aimé et prisé serois.
N’entendis mie la parole,
Mais la haïs et tins pour folle.
Tant comme j’eus et tant valus,
Et tant aimé et privé fus.
Tant trouvoi-je qui me blandit[1]
Et qui volontiers me servit.
Pour mon avoir me blandissoient ;
Or se détournent, s’ils me voient.
Bien me dit Cordéille voir,
Mais je nel sus apercevoir,
Ni l’aperçus, ni l’entendis,
Mais la blâmai et la haïs,
Et de ma terre la chassai,
Que nulle rien ne lui donnai.
Or me sont mes filles faillies
Qui lors étoient mes amies,
Qui m’aimoient sur tout rien,
Tant com jo oi alques de bien[2].
Or m’estuet celé aler requerre[3]
Que je chassai en autre terre ;
Mais je comment la requerrai
Qui de mon raine la chassai ?
Et nonporquant savoir irai[4],
Si je nul bien y trouverai.
Jà moins ni pis ne me fera
Que les aînées m’ont fait ça.
Elle dit que tant m’aimeroit
Comme son père aimer devoit :
Que lui dois-je plus demander ?
Devoit moi elle plus aimer ?

  1. Blandit, du latin blandiri, flatter.
  2. Tant oue j’eus quelque bien.
  3. Maintenant il faut que j’aille requérir celle, etc.
  4. Nonporquant, nonobstant.